Au stade où nous sommes, en juin 2022, du jeu politique ivoirien, nous ne savons plus qui a la palme de la traîtrise ou le Nobel de la loyauté. Au point où l’on se méfie, désormais de termes « stratégie » ou « tactique », prononcés autrefois pour sauver la face.
Aujourd’hui, faute de vision dynamique réelle face à un Alassane Ouattara en roue libre, Charles Blé Goudé est devenu le sujet de polarisation et de lynchage moral de sa famille politique. Il aurait trahi Laurent Gbagbo ou la lutte. Comment ? Dans son transfèrement (arrangé selon certains) de l’exil ghanéen en Côte d’Ivoire ; du fait qu’il n’a pas quitté son parti, le Cojep, pour le PPA-CI de Laurent Gbagbo ; et maintenant, en se faisant photographier devant le portrait du Chef de l’Etat Alassane Ouattara lors de la réception de son passeport à l’Ambassade de la Côte d’Ivoire au Pays-Bas. L’ancien compagnon de prison de Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé, serait-il effectivement un traître ? Nous n’en savons rien. Seulement quand nous constatons que le nouveau parti de Laurent Gbagbo, le PPA-CI, est un ensemble de militants loyaux d’hier, également d’anciens traîtres ou supposés comme tels, mais repentis à la dernière minute, et aussi de nouvelles figures venues d’ailleurs, nous pensons que les gens devraient être tolérants, patients, et voir plus loin. Pourquoi ?
A ce niveau, nous prenons seulement le fait que Blé Goudé soit attaché à son parti plutôt que de rejoindre son maître Laurent Gbagbo au PPA-CI. Nous ne connaissons pas les raisons profondes du président du Cojep. Mais la réponse d’un chef de parti politique de Gauche qui n’a pas, non plus, rejoint le PPA-CI, est édifiante : « C’est dans l’intérêt du président Gbagbo et de la Gauche, que nous ne nous retrouvions pas tous au sein du PPA-CI, pourquoi ? Vous vous souvenez, après l’éclatement de la rébellion en 2002, comme il fallait aller aux négociations, la rébellion du MPCI représentée par Guillaume Soro, s’est démultipliée. On a créé le MPIGO, le MJP et quoi encore… Et toutes ces entités rebelles, avec le RDR en plus, étaient représentées à chaque table de négociations. De même qu’à la CEI, où elles mettaient en minorité le camp présidentiel de Laurent Gbagbo, alors que tous ces mouvements rebelles défendaient la même cause, celle d’Alassane Ouattara. Pourtant, il ne s’agissait que du même RDR. C’est une leçon à retenir. Parce que les crises, il peut toujours y en avoir et on peut rester dehors, alors qu’en réalité, on est dedans.» C’est pourquoi il faut faire attention.
Mais à qui profite toute cette ambiance de déchirement interne à la Gauche ? Bien sûr que cette « guerre » dans l’écosystème Gbagbo profite au parti au pouvoir, le RHDP et au président Alassane Ouattara. Certains fanatiques ont toujours minimisé une fraction de la famille qui tombe : « Lui, c’est qui ! Il représente quoi même ! » Entend-on, ici et là. Eblouis par leurs seuls phares, ils estiment que Laurent Gbagbo seul suffit à battre Ouattara dans les urnes, ou alors l’alliance avec le PDCI serait la formule magique pour remporter mécaniquement la victoire électorale.
Mais même si le PDCI est bon morceau, cela n’empêche qu’il faut ménager la paix et la cohésion dans la sphère Gbagbo. Or, ces affrontements verbaux dans la même maison ont conduit à l’émiettement de ce qui était appelé hier, Galaxie patriotique autour du président Gbagbo. C’est une partie des gens qu’on a en moins dans sa famille politique : Le FPI est resté avec Pascal Affi N’Guessan et sa troupe dans leur enveloppe. Avec Simone Ehivet Gbagbo et son Mouvement des Générations capables, c’est une partie des femmes de Côte d’Ivoire qu’on a en moins. Et si l’on ne sait pas gérer le dossier Blé Goudé, c’est une bonne partie des gens, des jeunes, autour du président du Cojep qui ne se retrouveraient pas, qu’on aurait donc en moins. Des voix en moins, relativement au résultat du camp Gbagbo au premier tour de la présidentielle 2025.
C’est pourquoi, comme on peut être ennemis hier et amis ou alliés aujourd’hui, sans que le ciel ne nous tombe sur la tête, il suffit que les leaders évoquent la « stratégie », il convient, par « stratégie », que la Gauche cesse de se fragiliser, de se tirer dessus. Si elle a pu supporter Henri Konan Bédié et le PDCI qui ont aidé Alassane Ouattara et le RDR à faire la guerre à la Côte d’Ivoire, si elle a pu accepter des « traîtres » repentis, elle doit puiser dans sa même force de tolérance « stratégique » pour se tolérer en interne. Et cesser de s’autodétruire. C’est tout aussi stratégique.
Germain Séhoué
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