L’ARROSEUR ARROSÉ. C’est une bérézina. La CEDEAO a levé, le samedi 24 février 2024, les plus lourdes sanctions contre le Niger, « avec effet immédiat ».
C’est la surprise générale. Les frontières de l’espace aérien nigérien sont rouverts, les transactions financières entre les pays de l’organisation sous-régionale et le Niger sont, de nouveau, autorisées et les avoirs de l’État nigérien, dégelés alors que Mohamed Bazoum, le « président démocratiquement élu » se trouve toujours en détention.
Dans le bras de fer avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES, Burkina Faso, Mali et Niger), la CEDEAO, de guerre lasse, vient de jeter l’éponge, encaissant, toute honte bue, une défaite mémorable.
Comment trois pays, sans débouché sur la mer et prétendus pauvres, ont-ils réussi à faire mordre la poussière à douze pays ouest-africains, dont le géant nigérian de Bola Tinubu, président en exercice de la CEDEAO, et la locomotive de l’UEMOA pilotée par Alassane Ouattara, tête de file de l’aile dure de l’organisation!? C’est l’histoire de David, qui vainc Goliath, un tigre en papier.
Dans leur précipitation et leur intransigeance aveugle, qui allait crescendo d’un pays à un autre, la CEDEAO espérait asphyxier les régimes militaires avec des sanctions distribuées à la tête du régime et discriminatoires.
En effet, des quatre régimes militaires en rupture de ban démocratique, deux, le Burkina Faso du capitaine Ibrahim Traoré et la Guinée-Conakry du général Mamady Doumbouya, n’ont écopé que de sanctions politiques légères et habituelles (suspension des instances de l’UA et de la CEDEAO, fermeture des frontières).
Les deux autres, le Mali du colonel Assimi Goïta et le Niger du général Abdourahamane Tchiani, ont subi des mesures « draconniennes, inhumaines et illégales », allant du gel des avoirs à la BCEAO aux suspensions des transactions financières et commerciales, en passant par l’embargo sur les denrées alimentaires.
Pis, le Niger va être confronté à des mesures encore plus corsées: suspensions de la fourniture d’électricité, menace d’une intervention militaire, embargo sur les produits pharmaceutiques et interdiction de prendre la parole à l’assemblée générale de l’ONU, en septembre 2023.
Mais ce fut un coup d’épée dans l’eau. A l’instar de la Fédération de la Russie face à la pluie de sanctions des Occidentaux, les régimes militaires et leurs populations ont fait preuve de résilience pour résister. L’AES, fondée le 16 septembre 2023, a même donné l’estocade en quittant, le 28 janvier 2024 et « sans délai », la CEDEAO, « une organisation téléguidée de l’extérieur ».
Et c’est la panique générale. Le Niger, qui avait renoncé, sous les pouvoirs précédents, à la construction d’un barrage hydro-électrique afin de ne pas assécher celui du Nigeria contre un prix d’électricité convenu, est en train de dépoussiérer son projet pour son indépendance énergétique; le géant nigérian ayant rompu le contrat en privant le pays de l’approvionnement en courant.
En même temps, les organisations internationales ont commencé à réexaminer leur position. La Banque mondiale a annoncé sa volonté de reprendre ses programmes suspendus au Niger depuis six mois. Et, c’est l’embellie. Selon les prévisions de la BAD, le pays du général Abdourahamane Tchiani va se hisser, en 2024, en tête des pays africains affichant la plus forte croissance.
Et ce n’est pas tout. Le mur de la CEDEAO a commencé à se lézarder car, plus le temps passait, plus le coût géopolitique et économique des sanctions n’a cessé de s’élever pour tous les pays. Le Bénin de Patrice Talon a, de ce fait, rompu les amarres. Avant la lettre, il a unilatéralement levé la suspension des marchandises transitant vers le Niger par le port de Cotonou.
De plus, le Niger est devenu un pays producteur de pétrole (20 mille barils par jour). Il va fournir le gas oil à ses alliés burkinabé et malien, mais aussi au Tchad et au …Togo.
Et un oléoduc géant relie le sud-est du pays à la côte béninoise pour la commercialisation à l’étranger du brut nigérien (essentiellement le gas oil et l’essence); c’est une aubaine au bénéfice des deux pays. Le Niger en attend une augmentation de ses recettes pétrolières et le Bénin, la perception de droits de transit pour soulager les caisses de l’État.
Ainsi, l’interdépendance dans la sous-région est très forte. De ce fait, tous les pays ont été, d’une manière ou d’une autre, impactés. Le commerce transfrontalier et le trafic dans tous les ports (Abidjan, Cotonou, Lomé, Lagos, Dakar, etc.) ont baissé; entraînant une diminution non seulement des recettes douanières, mais des revenus portuaires.
Le port de Dakar, par exemple, vit à plus de 50% des produits qui vont vers le Mali, premier client du Sénégal dans le commerce extérieur. Il en va de même pour le port d’Abidjan par rapport au Burkina Faso. Sans compter que l’espace de l’AES reste le plus vaste débouché des produits manufacturés made in Côte d’Ivoire, et le réservoir essentiellement du bétail sur pied et de l’oignon.
Mieux, au-delà de sa forte communauté, le Pays des Hommes intègres est très présent en terre ivoirienne. Le Centre de promotion de l’investissement en Côte d’Ivoire (CEPICI) a annoncé qu’en 2023, le pays du capitaine Ibrahim Traoré, avec 11%, a été le premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire, loin devant la Turquie (7%), la Chine et la France (5%), notamment dans la cimenterie, l’emballage et les transports.
Et en retorsion aux mesures de suspension temporaire d’exportation, pour la période de la CAN 2023 (du 13 janvier au 11 février 2024), des tubercules (igname et manioc), des fruits et légumes dont la banane plantain et les produits dérivés, notamment l’alloko, le semoule de manioc et la pâte de manioc, appelés respectivement l’attiéké et le placali, le régime burkinabé veut désormais empêcher l’entrée de ces produits sur le territoire.
Une autre menace dans la corbeille des sanctions. Sur le terrain, la CEDEAO réalise qu’elle s’est finalement tirée une balle dans le pied, dans des opérations suicidaires. Aussi, après avoir perdu toutes ses plumes dans le rapport des forces, fait-elle chorus avec l’Union africaine pour la solution négociée.
C’est l’arroseur arrosé. L’organisation supplie les pays de l’AES de revenir sur leur position afin qu’après avoir tourné le dos à la France, ils ne franchissent pas le dernier pas: la création d’une confédération et d’une monnaie commune, « une étape de sortie de la colonisation », selon le général Tchiani.
F. M. Bally