Des mots effarants
« Les bénévoles de l’OIDE (Observateurs indépendants des élections) ont certes reçu des alertes de tentatives de fraude, mais aucune fraude n’a été formellement détectée. La fraude ne saurait être brandie pour justifier des échecs pourtant prévisibles. Dans bien des cas, des candidats de l’opposition se sentant en difficulté, ont tenté de se réfugier derrière une fraude imaginaire. Pire, il y en a qui ont tenté de manipuler l’opinion. Les observateurs de l’OIDE l’ont constaté à Gagnoa et à Yopougon « . Ces propose ne sont pas du porte-parole officiel du Gouvernement de Côte d’Ivoire, ni du président de la Commission électorale (CEI). Ces mots sont sortis de la bouche de M. Boga Sako Gervais, président de la FIDHOP (Fondation ivoirienne pour l’observation et la surveillance des droits de l’homme et de la vie politique), lors d’une conférence de presse mardi 5 septembre 2023 à Cocody.
L’évolution d’un militant engagé
Ces paroles lourdes d’accusations, qui accablent l’opposition ivoirienne, sont du même Boga Sako Gervais qui, pendant dix ans, à des tribunes sonores et visibles, sur des grands plateaux Tété européens, a mené avec feu et engagé sans nuance, la résistance et la défense pour le Président Laurent Gbagbo et le ministre Charles Blé Goudé embastillés à la Cour Pénale Internationale (CPI). Pendant ces années de braise suite à la guerre postélectorale, les patriotes ivoiriens étaient fiers de l’engagement de Boga Sako Gervais, qui se donnait l’énergie, le temps, les moyens pour parler au monde. Et il a fait cela, proprement, jusqu’à ce que, acquitté, Laurent Gbagbo rentre en Côte d’Ivoire le 17 juin 2021. Une page vient d’être tournée. Pour ce combat où nous n’avons pas tous lutté avec la même intensité et les mêmes sacrifices, si l’on devait le noter, je lui donnerais le tableau d’honneur.
Des espoirs de réconciliation
Après le retour du président Gbagbo en Côte d’Ivoire, la mine et le verbe de Boga Sako Gervais vont changer. Il avait commencé à se plaindre : « La Côte d’Ivoire est paralysée, mais apparemment, on pense qu’il y a la paix. Je demande aux trois présidents, Bédié, Gbagbo, Ouattara, retrouvez-vous, parlez-vous, et sauvez la Côte d‘Ivoire ». On peut dire que les choses vont dans ce sens. Le samedi 10 juillet 2021, l’ex-détenu de la prison de Scheveningen est à Daoukro pour une visite au président Henri Konan Bédié du président du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire). Le mardi 27 juillet 2021, les président Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara se sont rencontrés au Palais présidentiel d’Abidjan-Plateau.
Mais malgré tout, le 19 novembre 2021, Boga Sako Gervais va exploser sur une émission de la Télé NCI : « Quand on passe dix ans à l’exil, (nous, on prend le problème à la racine)…On estime que la Côte d’Ivoire pouvait être mieux dirigée, mieux gouvernée si on tenait compte des principes de droits de l’homme, si on changeait la Commission électorale indépendante, si on mettait tout à plat et que le meilleur candidat bien élu par les Ivoiriens dirigeait la Côte d’Ivoire ; c’était ça, notre rêve. Et on a défendu quelqu’un. (…) L’exil nous a coûté dix ans… quand on passe dix ans en exil, on a défendu quelqu’un, moi j’estime que, quand on arrive au pays, il avait maintenant la position de voir le président Henri Konan Bédié qui est de l’opposition comme lui, et ensemble, ils allaient se concerter pour voir le chef de l’Etat pour dire : on s’est battus, maintenant ça suffit, mettons en place les canevas pour qu’on aille de l’avant. Mais dès que le Président a atterri, on a dévié, on a laissé les problèmes fondamentaux de la République, de notre combat, en fait. On a laissé ça pour parler d’autre chose. Et ça, moi, je ne peux pas… Je ne peux pas avoir passé dix ans de ma vie, de ma carrière, et au moment où on doit maintenant faire face… On est rentré au pays, Monsieur Ouattara est au pays, on l’a critiqué à l’extérieur… Maintenant, Dieu merci, il a accepté que nos droits de revenir dans notre pays soient respecté. On vient, on le trouve, c’est maintenant qu’il faut lui parler pour dire : il y a des prisonniers, est-ce qu’on ne peut pas tourner la page pour aller de l’avant ? Non ! Depuis pratiquement trois mois, quatre mois, on est dans d’autres guéguerres, des guéguerres internes, à son parti politique, à sa famille. Moi, je ne peux pas… Non, non, non ! » Et le journaliste lui demande s’il est déçu. Il répond : « Oui, profondément, je suis déçu. Ça, je le dis, parce que je pensais mieux…(Voir Emission SANS RESERVE de NCI intitulé « Dr Boga Sako Gervais à propos de Laurent Gbagbo : »Je suis déçu »)»
Ce qui est remarquable, c’est l’amertume particulière avec laquelle Dr Boga Sako Gervais a dit ces choses sur le plateau-télé. Il était fort triste, comme quelqu’un qui se sentait profondément blessé.
Le jeudi 14 juillet 2022, le président Alassane Ouattara reçoit les président Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié au Palais présidentiel, comme l’a souhaité Boga Sako Gervais. Mais le chef de l’Etat Alassane Ouattara mène sa politique comme bon lui semble, sans tenir compte des revendications de ses opposants.
Le virage de Boga Sako Gervais
Mais on constate que Dr Boga Sako Gervais qui a réintégré ses droits d’Enseignant à l’Université, obtient pour la FIDHOP, un partenariat avec la Commission électorale indépendante (CEI) de Coulibaly Kuibiert pour être OBSERVATEUR des élections en Côte d’Ivoire. Ainsi les municipales et les régionales du 2 septembre 2023 ont été certainement un ESSAI pour faire partie des Experts de cette institution et du régime Ouattara. Son rapport d’observation de ces élections que l’opinion a entendu avec effroi, ne peut pas être un rapport objectif.
Dès lors qu’il déclare : « La fraude ne saurait être brandie pour justifier des échecs pourtant prévisibles. Dans bien des cas, des candidats de l’opposition se sentant en difficulté, ont tenté de se réfugier derrière une fraude imaginaire. Pire, il y en a qui ont tenté de manipuler l’opinion. Les observateurs de l’OIDE l’ont constaté à Gagnoa et à Yopougon « , il fait de la politique. Dr Boga Sako Gervais règle ses comptes.
Le paradoxe de l’Observateur électoral
En parlant « d’échecs pourtant prévisibles », il fait allusion aux problèmes, aux divisions dans l’opposition, que lui ne supporterait pas. Dr Boga Sako Gervais règle ses comptes sous l’amertume de ce regret « Je ne peux pas avoir passé dix ans de ma vie, de ma carrière… je pensais mieux… » Veut-il rattraper les dix années de sa vie et de sa carrière, passées au charbon, par une collaboration avec le pouvoir ? C’est le sentiment qu’il donne. Et comme le pouvoir RDR ne vous cède rien sans vous briser d’une manière ou d’une autre, voilà notre Dr Boga Sako Gervais qui devient méchant pour l’opposition en sonnant la trompette du pouvoir. Car, ça fera plus mal, et ça paraîtra plus crédible, si c’est dit par la bouche d’un opposant remarquable.
Heureusement, Dr Boga Sako Gervais n’est plus un opposant, et ce, quelles que soient les raisons de sa défection. Il pouvait se limiter à faire le rapport de sa mission, sans s’empêtrer dans des commentaires politiques. Dr Boga Sako Gervais règle ses comptes. Ce n’est pas un observateur crédible des élections. Il mêle ce travail scientifique et ses déboires et son acrimonie politique. Il n’a pas jugé les élections, mais il a jugé ce qu’il attendait de l’Opposant, C’est regrettable.
En d’autres termes, le parcours de Boga Sako Gervais demeure un exemple fascinant de transformation politique et de l’impact de la politique sur les individus. Ses choix et ses paroles continueront probablement de faire l’objet de discussions animées dans le paysage politique ivoirien.
Germain Séhoué