Mme Espérance Broalet est maître de conférences agrégée en anatomie et neurochirurgie à l’UFR des sciences médicales de l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, chef de service neurochirurgie de l’hopital catholique Saint Joseph Moscati de Yamoussoukro, et présidente de l’ONG Espérance Hope qui lutte contre l’hydrocéphalie et le Spina bifida.
L’ONG Esperance’s Hope a organisé, lundi 25 octobre 2021, au centre Don Orione de Bonoua, une cérémonie consacrée à mieux faire connaitre la journée internationale de lutte contre le spina bifida et l’hydrocéphalie. (AIP)
Interview
L’hydrocéphalie et le Spina bifida
L’hydrocéphalie est le trop plein d’eau dans la tête. A l’intérieur du crâne, il y a trois secteurs, à savoir, le cerveau; le liquide cérébro-spinal (contenu dans des cavités qu’on appelle ventricules cérébraux) et enfin, le secteur sanguin contenant les vaisseaux, le sang, etc.
Le liquide cérébro-spinal est fabriqué au niveau des plexus choroïdes, et va être résorbé à la périphérie du cerveau en allant dans le sang. Lorsqu’il y a un problème soit dans sa production, soit dans sa circulation, ou encore dans sa résorption, cela va entrainer une hydrocéphalie. Parce que les ventricules vont être dilatés, grossir et pousser le cerveau, surtout lorsque le crâne n’est pas tout à fait soudé comme on le voit chez les nourrissons (moins de deux ans). Cela donne une augmentation du crâne, c’est à dire, une macrocranie.
Le Spina bifida désigne une malformation congénitale (visible dès la naissance) qui se caractérise par un mauvais développement de la colonne vertébrale. Cette anomalie entraîne une paralysie et d’autres complications telles qu’une perte de sensibilité au niveau des jambes et des troubles urinaires. C’est une anomalie où l’arrière de la vertèbre ne va pas se fermer. Cela est dû à une malformation du système nerveux au tout début de la grossesse, c’est-à-dire, lors des trois premières semaines. Retenons que la formation du système nerveux du fœtus commence à la deuxième semaine et se termine au 28è jour. Donc, dès le premier mois de grossesse. Lorsqu’il y a ce défaut-là, cela va entrainer une anomalie où l’arrière des vertèbres n’est pas fermée. Ainsi, la moelle va venir essentiellement se localiser là (l’ouverture) et ne pas terminer son trajet qui est d’envoyer les nerfs aux membres inférieurs. Sur toute la colonne vertébrale, on peut le voir.
Les symptômes
Au niveau de l’hydrocéphalie, les signes varient en fonction de l’âge. Chez les tout-petits jusqu’à l’âge de deux ans, ce sera essentiellement l’augmentation du volume du crâne associé à d’autres signes, tels qu’un retard psychomoteur (retard pour s’asseoir, pour tenir la tête, pour marcher…). Mais lorsque l’enfant est plus grand et que le crâne ne peut plus grossir, cela va entrainer une pression/compression sur le cerveau qui découlera en maux de tête, régression à l’école, troubles visuels, vomissements… Les signes sont différents chez les adultes et les personnes âgées.
L’hydrocéphalie peut être due à une malformation (depuis la grossesse) ou acquise, c’est-à-dire, après la naissance (essentiellement les causes infectieuses) et les tumeurs. Les traumatismes crâniens peuvent aussi entrainer une hydrocéphalie.
Pour le Spina bifida, l’enfant va naitre avec une boule dans le dos ou une espèce de plaie dans le bas du dos. Il y a plusieurs autres signes: urologique (paralysie du sphincter ou blocages du bassin. L’enfant ne pourra pas contrôler ses urines ni ses selles). Cela peut entrainer une infection urinaire. Les signes neurologiques (paralysie des membres inférieurs) et enfin, des signes orthopédiques (déformations des pieds, du bassin). Mais le gros risque est la méningite.
Le diagnostic
Lorsqu’on suspecte une hydrocéphalie, il est demandé un scanner céphalique. Pour le faire, on passe par la fontanelle. Cela peut également nécessiter une IRM.
Pour le spina bifida, on peut demander une échographie et/ou une IRM.
Les chiffres
Selon l’OMS, il y a deux à quatre cas d’hydrocéphalies pour 1.000 naissances. Mais en Côte d’Ivoire, nous n’avons véritablement pas de chiffres sur l’incidence générale sur la population, mais on peut les situer autour de 10 à 11%. Pour les chiffres hospitaliers au cours de nos consultations, nous sommes à 20% de l’activité. Il y a une déperdition puisque ce n’est pas tous les cas qui sont hospitalisés.
Pour ce qui concerne l’incidence mondiale pour le spina bifida, c’est 1/1500 naissances à peu près.
Les soins
La prise en charge se fait dans les services de neurochirurgie. Pour l’instant, il n’y a que quatre établissements sanitaires publics qui le font en Côte d’Ivoire. Ce sont, le CHU de Yopougon dont la neurochirurgie est actuellement délocalisé à l’hôpital du Pont de Treichville, l’Hôpital militaire d’Abidjan (HMA), l’hôpital catholique Saint Joseph Moscati de Yamoussoukro et le CHU de Bouaké.
Il y a deux types d’interventions. L’intervention la plus fréquente est la dérivation ventriculo-péritonéale qui consiste à drainer ce trop-plein de liquide vers une autre cavité, qu’est l’abdomen. L’autre intervention est l’endoscopie qui est un court-circuit entre une de ces cavités et l’espace autour du cerveau pour que le liquide puisse directement aller vers son espace de résorption.
Il faut relever que la prise en charge est couteuse. Certaines interventions pour l’hydrocéphalie ne peuvent être faites dans nos services publics. Pour exemple, dans nos hôpitaux, le matériel pour endormir un enfant avant une intervention nécessite que le bébé pèse au moins 4 kg. Quand il y a urgence, il faut se diriger vers le privé avec ce que cela coûte…
Le spina bifida est un mal avec lequel on vit même si c’est une pathologie très handicapante au plan neurologique. Mais le risque de décès est plus lié aux maladies associées parce que le plus souvent, il y a une hydrocéphalie qui s’associe.
Le taux de décès est quand même de 45% en post-opératoire.
Actuellement, l’intervention in-utérale (pendant la grossesse) est en phase expérimentale. Il a pour but de réduire, du moins en intensité, les effets de ces maux.
La prévention
Pour les causes malformatives pendant la grossesse, la prévention va être un bon suivi des grossesses, essentiellement par une supplémentation en acide folique au moins trois mois avant et tout le long de la grossesse. Les échographies prénatales dès la 16 ème ou 18 ème semaine de la grossesse permettent ainsi de détecter le mal en cas d’origine génétique. Également, il faut prévenir toutes les infections qui peuvent entrainer la méningite, notamment les ORL, les otites, la sinusite…
Aussi, une mère qui a des antécédents de ces pathologies a plus de risque de le transmettre au fœtus; également une mère qui a déjà fait un enfant atteint de spina bifida a quatre à cinq fois plus de risques de faire des enfants atteints. D’où l’intérêt des consultations prénatales et des examens pour détecter précocement les maux utérins. Car plus le prise en charge est précoce, il y a plus de chance de guérir.
La guérison
La guérison survient lorsqu’on est pris en charge très tôt et s’il n’y pas d’autres pathologies sous-jacentes, surtout au niveau de l’hydrocéphalie. Il faut rappeler que l’hydrocéphalie peut survenir à tout moment de la vie d’une personne. Par contre, le spina bifida, c’est dès la naissance.
Pour le spina bifida, les dégâts en général sont déjà constitué. L’opération permet d’éviter le pire, notamment les infections en fermant l’ouverture des vertèbres. Dans le cas contraire, les dégâts sont rattrapés par la rééducation de la motricité (les membres), orthophoniques (le langage), médicale (pour les troubles d’urine et de selles).
Il peut parfois avoir des récupérations extraordinaires, à notre grande joie.
Il y a plusieurs formes de spina bifida. Le spina bifida occulta (qui se présente par un petit trou au bas du dos et non la grosse boule au bas du dos). Ou encore, il peut se présenter sous forme de touffe de poils qui peut passer inaperçu jusqu’à un certain âge. Dans ce cas de figure il va avoir la moelle qui va être fixée, et c’est autour de l’âge de 6 ans ou vers l’adolescence qu’on commence à voir les signes.
Les facteurs favorisant l’hydrocéphalie sont les méningites. Mais avec la large couverture du plan national de vaccination actuellement dans notre pays, ce sont les plutôt les malformations qui en sont les causes principales.
Les préjugés et lourdeurs socio-culturelles
Dans notre contexte socio culturel africain, ces enfants sont considérés comme des « enfants serpent », « enfant sorcier », ou encore, on parle de fontanelle. Les parents trainent avec les traitements à l’indigénat et au moment de les envoyer à l’hôpital, c’est trop tard car les dégâts sur le cerveau sont malheureusement très avancés…
Notre souhait
Avec cette célébration menée le 25 octobre à Bonoua, sur le thème « élevez vos voix », notre ONG veut briser les tabous et porter loin l’information en multipliant ce genre d’activités grand public sur toute l’étendue du territoire !
La formation des agents communautaires qui pourront repérer, rassurer les parents et les référer vers les centres agréés est aussi notre leitmotiv. Car plus la prise en charge est faite tôt, plus les patients ont des chances de guérir.
La supplémentation en acide folique a donné de très bons résultats. Nous essayons de sensibiliser les mamans à tous moments ainsi que les communautés pour le suivi des grossesses et les examens.
Aux personnes de bonne volonté et aux médias, nous vous invitons à nous soutenir davantage. A l’Etat, nous demandons de multiplier les centres de prise en charge et surtout soigner les pathologies connexes et post opératoires.
(AIP)