COMPTE RENDU DE LECTURE
CONSTANCE COLONNA-CESARI (2016), Dans les secrets de la diplomatie vaticane, Editions du Seuil, Paris, 391 p. ISBN 9782021231601.
Bertin G. KADET, Professeur Titulaire,
Cercle Universitaire d’Études et d’Analyses (CUEA)
Introduction
Parcourant mes lectures, j’ai retrouvé ce compte rendu qui, bien que datant de 2016, cadre avec l’actualité focalisée sur la disparition du Pape François. L’Église Catholique est orpheline depuis lundi 21 avril 2025 ; et le monde entier vient de perdre le plus illustre de ses grands diplomates, dans les relations internationales. L’ouvrage dont la recension fait l’objet de publication est une mise au point des enjeux de la paix mondiale et du rôle joué par l’Eglise catholique. Le livre de Constance Colonna-Cesari se présente en huit chapitres de 391 pages. Face aux grandes questions internationales, l’action diplomatique du Vatican s’est déployée sur tous les continents, dans le respect de la tradition de l’Eglise. Sous l’impulsion du Pape François depuis 2013, l’action diplomatique du Vatican reste marquée par l’histoire et la philosophie personnelles du Pape François. C’est pourquoi, ce livre commence par une présentation du Saint-Père, avant de décliner son action de paix dans le monde.
Le Pape François : un don de l’immigration au service de la paix
Le pape François, de son nom originel Jorge Mario Bergoglio, est né le 17 décembre 1936 en Argentine, un Etat de l’Amérique du Sud. Il est issu d’une famille d’immigrants italiens fuyant la dictature mussolinienne des années 1930. Ses grands-parents Juan Bergoglio et son épouse Rosa Margarita Vasallo fuient l’Italie en 1929, pour échapper au fascisme, et pour préserver leur liberté et leur dignité. Sur le chemin de l’exil, le premier bateau « Principessa Mafalda » qu’ils ratent pour cause de retard, fait naufrage en mer, y laissant des morts. En revanche, le second « Giulio Cesare » dans lequel ils voyagent, parvient à destination. En Argentine, la crise économique mondiale de 1929 entraîne les grands- parents dans la faillite, une période difficile que vit leur fils, Mario José Bergoglio le père du futur Pape. Ce dernier se marie en 1935 à Régina Maria Sivori, dont les parents italiens ont la même trajectoire migratoire. Le couple s’enrichit de cinq enfants, trois garçons et deux filles dont Jorge Mario Bergoglio est l’aîné.
Le jeune Jorge Mario grandit dans le quartier populaire de Flores, à Buenos Aires, au contact d’autres migrants (turcs, arméniens, uruguayens, paraguayens, libanais, juifs, syriens, européens, etc.). Ce foisonnement contribue à forger son identité et sa personnalité de citoyen du monde, solidaire des couches populaires. Toutefois, à peine adolescent, il prend le relais aux cuisines, travaille après les heures d’école, devenant ouvrier dans une usine de fabrique de chaussettes, comptable du commerce familial, agent de sécurité de club, laborantin dans un institut de chimie. A ce dernier poste, son superviseur paraguayen est victime d’un assassinat politique, sous ses yeux. Ce moment de sa vie marque une étape dans le choix de son futur.
Sa vie n’est pas exempte de tentations douloureuses, bien au contraire. Alors qu’il a choisi la voie de Dieu, Jorge Mario Bergoglio hésite à l’annoncer à sa mère dont il sait l’opposition. Dans cette attente, il tombe malade et doit subir plusieurs semaines d’hospitalisation. Deux ans plus tard, son père meurt d’un infarctus. Or, il est au séminaire, membre de la Compagnie de Jésus. Fort heureusement, sa grand-mère, la militante anti- fasciste réussit à convaincre sa mère. Intervient alors son ordination en qualité de prêtre de Jésus Christ, le 13 décembre 1969, suivie de sa profession de foi, le 22 avril 1973. Cette vocation religieuse est doublée d’une vocation populaire, du fait de sa passion pour le football.
Dans le cadre de sa formation intellectuelle, les études le conduisent successivement au collège Wilfrid Baron de los Santos Angeles, une banlieue de Buenos Aires, au séminaire de Villa Denovo, en 1957. L’année suivante, il entre à la Compagnie de Jésus. Admis à l’Université Alberto Hurtado dirigée par des jésuites, au Chili, le jeune Bergoglio y participe à l’action chrétienne aux côtés des couches défavorisées. De retour à Buenos Aires, il poursuit des études de philosophie et de théologie, qu’il achève en Espagne. Parallèlement, il enseigne la psychologie et la littérature. De 1964 à 1966, au centre de formation d’excellence des jésuites, à Buenos Aires, il consolide sa formation théologique fondée sur la « théologie de la culture » ou le péronisme . Plus tard, en 1986, il rejoint l’université Saint-Georges de Francfort, en Allemagne, pour y poursuivre des études doctorales.
C’est cette personnalité issue de l’immigration, dont la vie est prématurément marquée par une prise de responsabilité et par la vocation, qui est portée à la tête de l’Eglise catholique le 13 mars 2013. Homme du peuple et attaché à la dignité humaine, il est très tôt engagé dans le combat pour la liberté et la justice.
En effet, les décennies 1960 et 1970 sont marquées par des dictatures en Amérique latine. En Argentine, la junte militaire s’est emparée du pouvoir en mars 1976, instaurant un régime d’exception. Devenu Provincial de la Compagnie de Jésus, depuis 1973, Jorge Mario Bergoglio entreprend discrètement diverses actions pour sauver des prêtres et de simples citoyens de la dictature militaire. Après la dictature militaire, il autorise l’ouverture des archives de l’Eglise, pour permettre l’éclatement de la vérité sur cette période.
En 1992, Jorge Mario Bergoglio est nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires, évêque en titre en 1997, puis archevêque en 1998. Malgré tous ces titres, il vit dans un modeste studio, à l’intérieur de l’archevêché de Buenos Aires, laissant de côté les résidences somptueuses. Ses actions sociales sont dirigées vers les quartiers pauvres, notamment les bidonvilles villas miserias, où il célèbre des messes au contact des toxicomanes, et passe des nuits dans ses paroisses au chevet des malades. Son engagement dans les actions sociales le met parfois en désaccord avec le pouvoir politique argentin, dont il n’hésite pas à dénoncer les mesures économiques impopulaires et celles allant à l’encontre de la morale chrétienne. Lorsqu’il devient Pape en 2013, il se fait baptiser du nom de « François, le saint patron d’Italie, un homme qui était le fils d’un riche commerçant italien et avait choisi de vivre dans le dénuement », mais un nom qui renvoie également à l’Ordre des Frères mineurs ou les franciscains, créé par François d’Assise début XIIIème siècle, faisant le vœu de vivre dans la simplicité évangélique et la pauvreté, à l’instar du Christ. Au final, le Pape François incarne la vérité, l’humilité, la simplicité, la modestie, autant de vertus qu’il imprime à son action, au service de la paix dans le monde.
La diplomatie vaticane dans la dynamique des relations entre les Etats-Unis et l’Amérique latine
– Le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba
Sur le continent américain, le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba, le 17 décembre 2014, est une grande avancée dans la lente et patiente construction diplomatique du XXIème dont seule l’Eglise catholique détient les secrets.
En rappel, en 1961, les Etats-Unis mènent une opération militaire dans la baie des Cochons, visant à envahir l’île de Cuba mais, l’opération échoue et les troupes de Fidel Castro réussissent leur révolution. Dans le contexte de la guerre froide, l’intervention de l’URSS en soutien aux révolutionnaires castristes, sur le continent américain, est à l’origine d’une grave crise internationale. La crise de Cuba connait toutefois une issue pacifique grâce à la diplomatie, d’abord discrète du Vatican, appuyée ensuite par un appel public à la paix, lancé par le Pape Jean XXIII, le 24 octobre 1962. Les chefs d’Etat John Kennedy (EU) et Nikita Khrouchtchev (URSS) arrêtent l’escalade. Dès 1962, les Etats-Unis décrètent un embargo destiné à isoler Cuba, que l’action du Pape François vient de réduire.
Ce résultat s’inscrit dans la continuité de l’action de l’Eglise. Sous le pontificat de Jean XXIII, le succès diplomatique du Vatican a permis à la communauté internationale d’obtenir, à la conférence d’Helsinki en 1975, les accords sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Après la mort de Jean XXIII, en juin 1963, le Vatican maintient le dialogue avec Cuba. A la fin de la guerre froide, en 1990, et sous l’impulsion du pape Jean Paul II, le régime cubain s’ouvre au Vatican, grâce aux actions de responsables de la Congrégation Sainte-Brigitte de Rome et ceux de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. L’axe du dialogue se renforce grâce à des hommes de compromis parmi lesquels figure l’Archevêque de La Havane, le Cardinal Jaime Ortega. A la faveur de la visite du Président Barack Obama au Vatican, le 27 mars 2014, sa Sainteté invite l’exécutif américain d’adopter une politique d’apaisement à l’égard de Cuba, permettant à ce pays de réintégrer entièrement la communauté internationale. Le Président américain ayant accepté le principe, le Saint-Père en confie la réalisabilité au chef de l’Eglise cubaine, l’Archevêque de La Havane, Cardinal Jaime Ortega, vers fin avril 2014. Dans la discrétion la plus totale, le prélat cubain mène toutes les démarches devant aboutir à l’annonce officielle du 17 décembre 2014, scellant le rapprochement entre les deux pays.
Il convient d’ajouter que le rapprochement entre les deux Etats, est également le résultat d’efforts convergents émanant de divers réseaux d’influence parmi lesquels figurent les cercles de jésuites cubains et américains, les chevaliers de l’Ordre de Malte et la Congrégation américaine des chevaliers de Christophe Colomb . Le Pape François est un jésuite, Fidel et Raul Castro ont reçu une partie de leur formation chez les jésuites. En outre, les Eglises latino-américaines entretiennent des rapports séculaires avec certains réseaux d’Amérique du Nord y compris ceux du Canada, un pays ayant abrité les négociations, et où le Cardinal Jaime Ortega a été formé.
– Les Etats-Unis et les autres pays latino-américains
La convergence de vue existant entre le Pape François et le Président des Etats-Unis, Barack Obama doit être replacée dans le cadre plus global d’une nouvelle vision des rapports impliquant l’Amérique du Nord et l’Amérique latine, rappelant en cela la doctrine Monroe de 1823. La religion qui tient une place importante dans la vie des populations en Amérique du Nord et en Amérique latine, constitue un excellent facteur du rapprochement souhaité. En effet, dans le contexte de la guerre froide, la même communauté d’intérêts existait entre le président Ronald Reagan et le Pape Jean-Paul II. La lutte contre l’expansion du communisme et la théologie de la libération en Amérique latine, a amené l’Eglise catholique à soutenir la politique militaire des Etats-Unis dans le Sud du continent, dans les années 1980. Au XXIème siècle, le Président Barack Obama et le Pape François veulent renforcer l’intégration des peuples de l’Amérique du Nord et ceux de l’Amérique latine, au bénéfice de la liberté des activités de l’Eglise, et dans l’intérêt de l’économie américaine.
Au-delà de cette vision, le Président Obama entend également relever un défi personnel, consistant à laisser de lui, l’image d’un président de paix. En témoigne sa volonté de se réconcilier avec l’Iran, puis avec Cuba. Dans ce souci, le président américain empêche l’intervention militaire des occidentaux contre la Syrie, et invite l’Israël à la souplesse dans le conflit avec les Palestiniens. Or, sur ces différents aspects de la politique internationale, le Président américain est en phase avec le Souverain pontife. D’un autre côté, le Président Obama prône le rapprochement avec les catholiques de son pays. Dans ses actes, il attire les catholiques Hispaniques, par ailleurs, de plus en plus nombreux aux Etats-Unis. Dans son premier cercle, le chef de la diplomatie, John Kerry est catholique, certains collaborateurs les plus écoutés sont des Hispaniques, travaillant au rapprochement avec l’Amérique latine. Ainsi en est du théologien Miguel Diaz, un américain d’origine cubaine, nommé ambassadeur au Vatican en 2009, de la juge Sonia Sotomayor, d’origine portoricaine, nommée à la Cour Suprême des Etats-Unis. Mme Roberta Jacobson, actuelle ambassadeur au Mexique, et le diplomate Ricardo Zuniga ayant négocié avec Cuba, sont tous d’origine hispanique.
Le pape François, d’origine argentine, s’appuie sur ces leviers de l’administration Obama, pour impulser les relations avec l’Amérique latine. Dans cette dynamique, après le rapprochement avec Cuba, le Venezuela demeure une préoccupation de la diplomatie américano-vaticane. Dans les années 1980, le Venezuela entretenait des relations harmonieuses avec les Etats-Unis, et l’Eglise catholique y jouissait de la liberté d’action. Suite à l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1998, ce pays a changé de politique, devenant le principal soutien de Cuba, dans le cadre d’une politique de coopération « pétrole contre médecine ». Or, Cuba étant sous embargo américain depuis 1962, le rapprochement d’avec le Venezuela fait de ce dernier, un ennemi des américains. En dépit du deal Cuba- Etats-Unis survenu en décembre 2014, le chavisme se poursuit avec le président Nicolas Maduro au pouvoir depuis août 2013. Le Vatican est inquiet du durcissement des relations conflictuelles et persistantes, existant entre l’Eglise et l’Etat vénézuélien, dénoncées par la Conférence des évêques vénézuéliens, en janvier 2015. Tels qu’ils se présentent, les intérêts des Etats-Unis et ceux de l’Eglise Catholique se croisent au Venezuela. Cette situation donne à s’interroger sur la survie du régime Maduro.
Le Mexique et la Colombie constituent d’autres pôles d’intérêts communs à défendre par les Etats-Unis et le Vatican. D’une part le Mexique et les Etats-Unis sont confrontés à la question migratoire à leur frontière. Aussi, l’Eglise catholique mexicaine est fragilisée par les actes de pédophilie. Concernant la Colombie, un long conflit armé implique le gouvernement et la rébellion des FARC. Aussi, la fermeture par le Venezuela, de la longue frontière de 2000 kilomètres le séparant de la Colombie, limite la mobilité des populations. Or, le Président Obama et le pape François partageant une vision d’une Amérique pacifiée, unie et non plus divisée, la situation qui prévaut en Colombie est de nature à contredire une telle perspective. Dans ce pays, le Pape François est impliqué dans le processus de paix engageant le gouvernement colombien et les FARC, grâce au rôle actif joué par les évêques, par l’organisation Sant’Egidio, et par l’ambassade des Etats-Unis à Mexico.
Dans sa démarche, le Souverain pontife associe les minorités ethniques dans le nouveau pacte de paix à sceller entre les Etats-Unis et l’Amérique latine, non seulement pour que les «périphéries de l’Eglise» ne restent pas en marge du mouvement collectif, mais aussi pour que le nouveau visage de l’Eglise, au XXIème siècle, reflète davantage les différentes composantes de la société humaine. Cette vision est conforme à « l’option préférentielle aux pauvres », un choix ecclésial adopté par la cinquième conférence des épiscopats d’Amérique latine et des Caraïbes, réunie en mai 2007 à Aparecida (Brésil). La proximité du pape François avec le Président Bolivien Evo Morales, premier président originaire de la tribu amérindienne, les Aymaras, est un symbole de cette intégration. Il en est de même pour la nomination du cardinal hondurien Oscar Maradiaga, devenu coordinateur central du conseil cardinalice au Vatican. Aussi, l’autorisation accordée par le pape, aux diacres autochtones des tribus précolombiennes du Mexique, de dire la messe pour pallier le manque de prêtres, participe de cette volonté d’inclure tous les peuples à la mission pastorale de l’Eglise.
Au final, la diplomatie vaticane telle qu’inspirée par le Pape François, et déployée sur le continent américain, traduit une vision des relations internationales plaçant l’homme au centre des priorités du Souverain pontife. Elle fait la promotion de la paix et de la justice sociale. Cette orientation est fondée sur l’histoire de l’Amérique, un continent où le pouvoir politique a été imposé par la guerre de domination européenne. Aucun Etat n’y a fondé son pouvoir sur la domination des autres. En revanche, la domination européenne a été imposée aux populations autochtones. En conséquence, les luttes revendicatives portent à l’extérieur, sur les notions d’indépendance et de non-ingérence, tandis qu’à l’intérieur, elles se concentrent sur la justice sociale, sur la dignité humaine, et sur l’amélioration des conditions de vie. Forgé par cette histoire sud-américaine, le Pape François veut en promouvoir les valeurs dans les relations internationales, en promouvant une diplomatie de la paix, favorable à l’accueil des immigrants, la protection de l’environnement, la fin des excès de consommation, l’arrêt du commerce des armes.
Le maintien du dialogue avec une Europe divisée
En Europe de l’Est, il existe plusieurs églises orthodoxes divisées, et des églises protestantes. Ces divisions se sont aggravées à la faveur de la crise sociopolitique débouchant sur les affrontements sanglants de la place Maïdan, en Ukraine, entre novembre 2013 et avril 2014. C’en est suivie la guerre en Crimée impliquant la Russie. Au-delà du conflit territorial ukrainien, le Pape François est préoccupé par l’opposition entre le patriarcat de Constantinople et celui de Moscou. Pour le règlement de ces conflits, le dossier ukrainien est confié au britannique, Mgr Paul Richard Gallagher, Secrétaire pour les rapports avec les Etats, au sein du Vatican. Le Saint-Père entretient ensuite le dialogue œcuménique avec l’orthodoxie religieuse russe. Enfin, le gouvernement russe est placé dans le jeu diplomatique du Vatican, pour apaiser les tensions en Syrie, pour réintégrer l’Iran dans la communauté internationale, et pour agir en Chine. Au regard de la diplomatie vaticane, le centre du monde est ailleurs qu’en Europe.
En Europe occidentale, la diplomatie Vaticane est brouillée par des divergences caractérisant les Etats membres de l’Union Européenne, notamment sur la question migratoire et sur la crise grecque. Le capitalisme financier a pris le pas sur la solidarité, ignorant la justice sociale et la dignité humaine. La division de l’Europe est ressentie au niveau de son Eglise, à l’image des désaccords observés au niveau des deux structures de relai de l’action du Vatican, à savoir le Conseil des Conférences Episcopales d’Europe (CCEE) et la Commission des Episcopats de la Communauté Européenne (COMECE). En outre, les législations européennes adoptent des lois affectant certaines valeurs chrétiennes « non négociables ». Le droit à l’avortement, la procréation médicalement assistée, l’euthanasie, le mariage pour tous, l’homosexualité, les recherches sur les cellules souches, constituent les bases de relations conflictuelles entre les Etats européens et l’Eglise, et entre cette dernière et les institutions de l’Union Européenne.
Au fond, pour le Vatican, l’image actuelle que l’Europe donne d’elle-même au monde, n’est pas conforme à l’esprit de sa création, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Après 1945, l’Eglise catholique soutient et appuie la naissance d’une Europe porteuse des valeurs de liberté, de justice et de démocratie, réintégrant l’Allemagne, une grande nation chrétienne. Cette Europe fondée sur des valeurs chrétiennes, doit être débarrassée du communisme, un ennemi pervers de l’Eglise. C’est dans cet esprit qu’à l’issue de la signature du traité de Rome créant la CEE, le 13 mars 1957, précédée le 9 mai 1950 par la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier (CECA), le pape Pie XII qualifie cet évènement, du « plus important et du plus significatif de l’histoire moderne de la Ville éternelle.» Les Etats-Unis, qui ont suscité cette idée, se joignent naturellement à cette nouvelle Europe en construction, unissant leurs forces à celles de toutes les forces démocratiques, dans le combat contre le communisme.
Or, l’évolution de la construction européenne inquiète, ne faisant pas apparaître cette vision d’une Europe chrétienne. Les débats politiques européens privilégient les questions techniques et économiques, au détriment de perspectives plus humaines. Plutôt que de mettre à profit ses racines religieuses pour se prémunir contre les extrémismes, l’Europe développe des styles de vie « égoïstes caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres.» En témoignent le phénomène de la « barriérisation » de certains Etats européens, les trafics humains, la politique des quotas migratoires, etc. Fatalement, la démocratie est en péril en Europe, due à la pression du pouvoir financier au service d’empires multinationaux.
Malgré les antagonismes, le Vatican maintient le dialogue avec l’Union Européenne. Ce que recommande le Saint-Père, c’est que l’Europe se construise ensemble, autour de la sacralité de la personne humaine, du respect de la dignité humaine, et non autour de l’économie : « il faut une écologie humaine, faire du respect de la personne ». Dans cette voie, la nouvelle diplomatie du Vatican prend sa source dans le dialogue interculturel. Pour le Pape François, la défense des libertés religieuses est le pivot de toute démocratie. C’est ce qui ressort de son message du 6 juin 2015 à Sarajevo, en Bosnie, un pays régulièrement en proie à des conflits armés impliquant plusieurs confessions religieuses : « on peut vivre en construisant ensemble un avenir de paix et de fraternité. »
L’approche œcuménique et le dialogue interreligieux au Proche et Moyen-Orient
La diplomatie vaticane affronte plusieurs défis : le vieux conflit israélo-palestinien, la guerre en Syrie, le chaos libyen, l’instabilité en Egypte, l’Etat islamique, l’exode des chrétiens d’Orient. L’importance de ces questions a conduit le Saint-Père à Jérusalem, en mai 2014, comme l’ont fait avant lui, ses illustres prédécesseurs Paul VI (1964), Jean-Paul II (2000) et Benoît XVI (2009).
Les relations entre l’Israël et le Vatican se sont détériorées depuis la signature des accords de paix à Oslo, le 13 septembre 1993 entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, soutenus par le Saint-Siège. Le Vatican veut que la ville de Jérusalem passe sous contrôle international, ce que refusent les gouvernements Israéliens successifs. Aussi, l’Eglise catholique a perdu auprès de l’Etat d’Israël, le statut d’exemption, garanti par l’ONU depuis 1947, et doit payer des arriérées d’impôts remontant à 1967. A cela s’ajoute une mise à l’écart du Vatican dans la conduite du processus de paix au Proche-Orient. Toutefois, pour contribuer à la résolution des problèmes, le Pape François applique une dynamique œcuménique et un dialogue interreligieux. Dans cet esprit, il visite l’Israël, la Jordanie et la Cisjordanie et rencontre les différents chefs religieux, notamment le patriarche de l’Eglise orthodoxe de Constantinople, Bartholomée Ier, les grands rabbins du Judaïsme, le grand mufti de Jérusalem. Il s’entretient aussi les leaders politiques dont le palestinien Mahmoud Abbas. S’appuyant sur le bilan des victimes du conflit israélo-palestinien, le Souverain pontife observe que les palestiniens enregistrent le plus grand nombre de pertes en vies humaines et matérielles. Il invite alors toutes les parties en conflit à faire la paix, comme l’a fait avant lui, Benoît XVI, en mai 2009 à Bethléem.
En Irak, la diplomatie vaticane est confrontée aux persécutions perpétrées par l’Etat islamique ou Daech, contre les populations, en particulier les chrétiens d’Orient et les musulmans de cette région. En juin 2014, un chef musulman du nom d’Abou Bakr al-Baghdadi déclenche le djihad, à partir du Nord-Est de l’Irak, en vue de restaurer un califat. La guerre se répand dans les Etats voisins parmi lesquels la Syrie, elle-même confrontée à un conflit armé depuis 2011. Le djihad islamique affecte particulièrement les chrétiens d’Orient, les minorités Yézidie et d’autres minorités religieuses et ethniques. Toutes ces populations fuient leur pays pour échapper aux conversions forcées à l’islam, aux enlèvements, aux infibulations, aux pendaisons, aux décapitations publiques, et aux crucifixions pratiquées par les djihadistes. Devant la gravité de la situation, le Saint-Père appelle à « l’arrêt de l’agresseur », le 18 août 2014. Un tel appel n’a de signification que le recours à une solution armée.
La diplomatie vaticane est cependant confrontée à un problème d’interlocuteur au Moyen-Orient, une région réputée pour la multiplicité de ses autorités islamiques, entre sunnites Druzes, ismaéliens, ou chiites. Le Pape y encourage le dialogue interreligieux, grâce à ses canaux dont l’organisation Sant’Egidio. Aussi, il s’appuie sur la Russie qui tient désormais une place importante dans le partenariat stratégique du Vatican. Le soutien russe est fondé sur l’idée qu’un rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran peut favoriser la paix en Syrie et en Irak, tous deux confrontés à la menace de Daech. Or la Russie est un allié de la Syrie et de l’Iran ; elle représente par ce fait, un acteur de paix au Moyen-Orient.
De la diplomatie des «petits pas » en Asie, aux voies locales en Afrique
En Asie, le Vatican apporte son appui à la Compagnie de Jésus active en Chine, depuis le XVI è siècle, et règle des problèmes d’évangélisation en Asie du Sud-Est. Dans ce contexte, le pape François visite la Corée du Sud en été 2014, les Philippines et le Sri Lanka en janvier 2015. Dans ces pays, comme à l’égard des autres (Inde, Birmanie, Indonésie, Malaisie) confrontées à des conflits intercommunautaires, le Souverain pontife appelle à un dialogue interreligieux entre les chrétiens, les bouddhistes, et les musulmans, tout en s’inquiétant de la situation de l’Eglise au Vietnam, en Corée du Nord ou en Chine. Dans les Etats du Sud-Est asiatique où l’Eglise est « encore enfermée dans une cage », le Vatican privilégie la diplomatie institutionnelle ou la diplomatique « des petits pas ». Cette option consiste à « négocier prudemment autant que patiemment », avec chacun des Etats pour parvenir à des accords permettant de desserrer l’étau autour des catholiques.
En Afrique, les pays sont confrontés à des conflits armés incessants, une démocratie difficile à s’instaurer, aux groupes terroristes (Aqmi, Boko Haram), aux prédations de groupes financiers internationaux. Les religions sont prises dans le tourbillon des crises affectant ce continent. Tantôt des chrétiens sont pris pour cibles, tantôt ce sont les musulmans ou d’autres groupes. Dans ce contexte de fragilité, la déliquescence de certains Etats influence la paix, la justice et le développement. La diplomatie vaticane veille à l’enracinement de la foi et la liberté du clergé, en s’appuyant sur l’Eglise locale, ainsi que sur des personnalités religieuses africaines à Rome. En effet, l’action de l’Eglise qui s’exerce sur le long terme, n’est pas compatible avec l’instabilité des régimes africains soumis à des changements récurrents. Des voies diversifiées sont alors empruntées pour la résolution des problèmes. En exemple, la guerre du Darfour, au Soudan, a conduit à la partition de ce pays en 2011, entre le Nord contrôlé par le régime islamiste de Bachar El Béchir, et le Soudan-Sud à majorité chrétienne et animiste dirigé par John Garang. L’accord de partition soutenu par les Etats-Unis, a également bénéficié de l’appui du Vatican, grâce à ses représentants locaux, le Nonce apostolique de Khartoum Mgr Mamberti et l’Archevêque de Khartoum le Cardinal Gabriel Wako Zubeir.
Toutefois, le 25 et le 30 novembre 2015, le pape François se rend lui-même au Kenya, en Ouganda et en Centrafrique, des pays marqués par des violences intercommunautaires. Les deux premiers Etats sont touchés par le terrorisme des Chebabs somaliens, alors que le dernier est affecté par des affrontements intercommunautaires transformés en un conflit religieux. Le Saint-Père y encourage le dialogue interreligieux. Au-delà du contact direct avec le Saint-Père, la diplomatie vaticane dans les pays africains s’exerce à travers le Conseil pontifical Justice et Paix dirigé par le cardinal ghanéen, Peter Turkson. Parmi les questions qui préoccupent cette institution, figurent l’accaparement des terres, le déficit de gouvernance, les gains à court terme, les ressources minières, l’extrémisme religieux et les questions sanitaires.
A l’instar du cardinal Peter Turkson, la diplomatie vaticane compte également sur l’ancien évêque de Conakry, l’actuel préfet de la Congrégation pour la liturgie, Cardinal Robert Sarah. Ce prélat qui a su s’opposer au régime de Sékou Touré et à la junte militaire, a contribué à maintenir l’Eglise dans ce pays, comme le seul rempart contre le chaos et l’arbitraire. C’est également le cas de Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya de Kinshasa, en RD-Congo, membre du Conseil des cardinaux de neuf membres, assistant le Pape dans la gouvernance de l’Eglise universelle. Au nombre des sommités religieuses africaines du Vatican, le cardinal Wilfried Fox Napier, archevêque de Durban, est membre du Conseil pour l’économie, et membre de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Sa structure gère toutes les ressources financières issues des collectes organisées à travers toutes les paroisses du monde, les diverses donations des ONG religieuses, les bénéfices des rentes immobilières de l’Eglise. Dans le cadre des réformes de la curie, Cardinal Napier est de ceux qui déterminent les aides financières à apporter aux églises dans les pays africains. Or, dans ces pays fragiles, cette aide financière émanant du Vatican constitue un instrument de sa diplomatie humanitaire.
Cependant, l’une des faiblesses de l’Eglise africaine réside dans sa trop grande proximité avec les pouvoirs politiques, et également dans la mauvaise réputation de certains membres des épiscopats. Ces situations l’empêchent d’affronter sereinement certains défis, tels que la concurrence des Eglises évangéliques, l’islam, les réponses pastorales aux questions sociales, les crises politiques et les conflits armés. C’est le cas lors du génocide rwandais de 1994 dans lequel la responsabilité de certains membres du clergé local est avérée. Malgré tout, les épiscopats africains ont contribué à promouvoir l’unité nationale dans certains Etats en conflit, présidant des Conférences Nationales ou des institutions étatiques (Gabon, Benin, RD-Congo), ou s’opposant au pouvoir politique lorsque les règles démocratiques n’étaient pas respectées (Burkina Faso, Burundi, RD-Congo). Enfin, les épiscopats africains sont également engagés dans la lutte contre l’expropriation et l’exploitation de la terre et de ses ressources à l’image du Kivu (RD-Congo). Après la réaction du Conseil Justice et Paix, instituant une commission pour les ressources naturelles, un observatoire a été créé en RD-Congo pour suivre l’exploitation minière dans le Kivu. De même, en Zambie, les jésuites locaux ont appuyé la dénonciation des OGM américains introduits dans le pays durant la famine de 2002.
Conclusion
La diplomatie vaticane offre une clé de lecture des crises sociopolitiques affectant les Etats, à travers la planète. Aussi bien dans la résolution des conflits et dans l’établissement de la paix, l’Eglise catholique est un acteur incontournable dans la gestion de ces crises. En réalité, les réponses apportées aux différentes crises sont les résultats de manœuvres discrètes exercées par la plus haute autorité de l’Eglise catholique. La prégnance de l’Eglise dans les questions sociétales tient à l’acharnement du Haut Clergé de défendre la liberté partout où elle est bafouée, en particulier la liberté religieuse et la foi. Sous ce rapport, le challenge est grand pour l’Eglise africaine, en particulier l’Eglise catholique de l’Afrique de l’Ouest, dans un espace géographique fortement laïcisé, mais régulièrement troublé par les terroristes djihadistes depuis le début de ce millénaire.
Ce livre est incontestablement un hommage au Pape François et à son action de paix à dans le monde. Il est d’un grand intérêt didactique et documentaire et il permet de comprendre l’évolution du monde, à travers les nombreuses crises et les réponses qui sont apportées. Les dirigeants politiques, en particulier ceux des Etats africains, de même que les milieux universitaires et diplomatiques ont besoin de s’y référer. Son auteure, Constance Colonna-Cesari est journaliste spécialiste du Vatican, réalisatrice, et créditée de plusieurs publications portant sur l’Eglise catholique et ses dirigeants.
