Cher frère KKB,
Le 11 avril 2011, lorsque j’ai vu l’image de Laurent Gbagbo, encadré par des rebelles, en route pour le Golf, je me suis dit : « Ok ! Vous l’avez pris ? Si vous l’avez arrêté, ce n’est pas parce que vous avez gagné les élections ; ce n’est pas parce qu’il a mal fait d’avoir défendu son pays, d’avoir essayé de protéger son peuple. Si vous avez gagné, c’est parce qu’en termes de brutalité, vous vous êtes montrés cruels, c’est par la force ».
Dix ans plus tard, Laurent Gbagbo a été acquitté, blanchi, libéré. Et les gens ont sur leur conscience, ces dix années volées à des milliers d’Ivoiriens, à la Côte d’Ivoire.
Ces derniers temps, Frère KKB, toi qui a permis la réalisation du « 3e mandat anticonstitutionnel », tu multiplies des paroles. «Tous les prisonniers politiques ont retrouvé la liberté » ; « Face à Alassane, c’est à lui (Soro) de faire profil bas » ; « Le ciel s’est dégagé sur nos têtes », etc.
L’objectif de tout cela ? Faire croire que tu avais eu raison tôt, de t’être rangé du côté du 3e mandat. Que tu avais eu raison de poser cet acte historique, imprescriptible dans les consciences, que tu as endossé, en pleurant. Tu aurais eu raison, la preuve : « Le ciel s’est dégagé sur nos têtes ». Sur vos têtes.
Frère KKB,
Dans cette affaire de 3e mandat, tu crois certainement que tu as raison. Tu crois que les Ivoiriens ont fini par se convaincre que tu avais raison, en faisant ce que tu as fait. En validant la prédation de leur souveraineté. Non, tu te trompes. Lourdement.
Les gens que tu vois venir vers là-bas, sont déçus. Leurs espoirs ont été déçus, pas que la vérité se trouve de votre côté. Mais, pour une raison ou pour une autre. Ils ont vieilli dans la résistance. Leurs sacrifices ont été immenses. Mais l’actualité ne leur parle pas. D’où le plongeon vers l’antithèse, vers le douloureux plaisir.
Certains y vont en pleurant. Comme toi-même, dans l’hélico de la félonie. En même temps, en déclarant que c’est leur « conviction ». Une conviction qu’on assume en pleurant. Et ces quelques départs font croire au RDR qu’il avait raison. Mais c’est faux ! Vous avez « menti ! ». C’est la raison du plus fort. C’est l’usure qui vrille la conscience des gens. Or, la raison du plus fort n’est pas la raison qui illumine la société.
Car fuir la galère en se disant « Je vieillis sans rien. Et tout le monde est en train de mourir autour de moi. Si je continue ainsi, les miens vont m’en vouloir », ne peut être une conviction politique. C’est un raisonnement simplement stomacal.
Or, bien de ces gens sont éminemment cérébraux. Mais hélas ! vaincus par une gestion décousue de leur espérance. Ils partent vers vous, la mort dans l’âme. Voilà un autre type d’otage ! Tenir les gens par le ventre, enlève à la politique, l’esthétique et la dignité. C’est vrai, on ne mange pas la dignité, mais voilà !
Cher frère,
Tu parlais de ton ami et frère Guillaume Soro, l’ancien Secrétaire général de la rébellion des Forces Nouvelles en disant : « Face à Alassane, c’est à lui (Soro) de faire profil bas ». Je pouvais dire : « C’est leur affaire ! ». Mais je serais sans mémoire.
Or, tu as fait à Henri Konan Bédié, devant tous, ce que tu reproches à présent à Guillaume Soro face à Alassane Ouattara. Alors que Soro a été plus utile à l’accession de Ouattara au pouvoir que toi, tu ne l’as été dans l’ascension de Bédié. Cela est gênant pour la cohérence.
Le 1er octobre 2013, le confrère Jeune Afrique affichait en titre : « Côte d’Ivoire : KKB, l’homme qui voulait « tuer » le père ». Le « père » en question, c’était Henri Konan Bédié, le président du PDCI.
Tu te rappelles certainement ces mots du confrère : « Ambitieux, Bertin Konan Kouadio a fini par se retourner contre son mentor en politique, Henri Konan Bédié. Jusqu’à lui disputer la tête du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), lors du congrès prévu du 3 au 5 octobre.»
Et le journal de rappeler l’expression de ton combat :«Les dirigeants actuels doivent passer la main » ; «Ce n’est pas nous qui lui (ton « père » Bédié) demandons de partir, ce sont les statuts du parti, qui fixent la limite d’âge à 75 ans ».
En ce moment-là, la notion de « faire profil bas » n’était pas encore née dans ton environnement verbal.
Frère KKB,
Sur la question du 3e mandat, tu n’as pas raison. Même si les choses vont bien pour toi. Si tu vois les gens calmes, c’est parce qu’ils sont vaincus et non convaincus. Donc, tu nous irrites plus en nous faisant croire que tu avais raison.
Laisse les gens. Celui qui ne supportera plus la faim, viendra frapper à vos portes.
Bien à toi.
Germain Séhoué
Journaliste – Ecrivain