Par Magaye GAYE
Les sanctions contre le Mali viennent d’être levées par la CEDEAO mais deux problèmes restent en suspens à savoir l’incapacité de l’organisation sous régionale d’exercer des sanctions dissuasives et surtout la persistance des risques de conflits politiques liés a8ux « troisièmes mandats « .
L’inefficacité des mesures économiques coercitives et l’inopportunité d’user de la solution militaire face à des peuples déterminés, devraient amener les dirigeants ouest africains à réfléchir à des alternatives crédibles.
Deux constats préalables: l’être humain est naturellement accro au pouvoir. Il doit être encadré pour que ses propres velléités de domination ne troublent pas l’ordre public. Ensuite tout peuple aspire à l’alternance du fait de l’essoufflement naturel dans l’exercice du pouvoir et d’un contexte mondial de plus en plus difficile.
Au regard de ces facteurs, quoi de plus normal et logique que le peuple veuille, dans le cadre de la recherche de son bien-être, expérimenter d’autres solutions avec de nouvelles équipes.
Il en ressort que les recherches frénétiques de troisième mandat et les situations mécaniques de non alternance observées notamment au Togo constituent des anomalies.
La CEDEAO, telle qu’organisée en ce moment, est peu démocratique et loin des aspirations populaires. Les décisions de la cour de justice de l’Organisation ne sont pas souvent appliquées lorsqu’ elles vont à l’encontre des pouvoirs en place. Oui, il faut réorganiser et réformer.
Son schéma organisationnel devrait être renforcé tant dans sa structuration, ses règles de fonctionnement et ses méthodes.
Il existe aujourd’hui un conflit d’intérêt manifeste dans la problématique, avec des Chefs d’Etats, principaux concernés, qui en fin de compte prennent à huis clos parfois des décisions devant s’appliquer à eux.
La solution majeure est politique et a trait à la capacité de l’Organisation à imposer à ses dirigeants des règles claires et contraignantes sur l’impossibilité pour tout Chef d’ État en exercice de faire plus de deux mandats. C’est une pratique de bonne gouvernance expérimentée avec satisfaction dans les pays développés.
Au sujet des réformes, il convient de modifier les règles de consensus actuellement en vigueur pour aller à un vote majoritaire quitte à voir un certain nombre de pays quitter le navire.
Mieux vaut bâtir un projet d’intégration avec des pays partageant le même idéal démocratique et de paix, même s’ils sont en petit nombre, plutôt que d’avoir des incohérences politiques qui empêchent de progresser qualitativement.
Il faut aussi trouver de nouveaux types de sanctions exemplaires dissuasives, ciblées à prononcer à l’endroit des Chefs d’Etats peu disposés à respecter les règles communes. La CEDEAO devrait éviter d’être complaisante à l’égard de ceux-ci.
Par ailleurs, l’Organisation devrait trouver des solutions pertinentes à la problématique de la reconversion des Chefs d’États sortis par la grande porte en leur offrant des garanties effectives de protection et de statut honorable.
Au plan du renforcement du dispositif institutionnel, un chaînon devrait être ajouté à l’organisation actuelle: une haute autorité indépendante de contrôle de la gouvernance dotée de pouvoirs renforcés à l’image de la BCEAO dans le domaine monétaire. On pourrait imaginer dans ce cas, des membres nommés à vie pour éviter toute possibilité de pression mais aussi triés sur le volet en fonction de leur intégrité et de leur compétence.
Le statut des juges de la Cour de justice de la CEDEAO gagnerait aussi pour des raisons d’efficacité et d’autonomie à recevoir ce caractère inamovible à l’instar de leurs homologues de la cour suprême des États Unis.
Les missions de l’ECOMOG pourraient être élargies en y intégrant des mandats de dissuasion et d’intervention militaire dans toute situation de non-respect des protocoles relatifs aux troisièmes mandats.
Le CEDEAO devrait aussi renforcer ses actions de formation en direction des forces armées pour éviter que celles-ci s’érigent en unique dépositaire des intérêts supérieurs des nations en rompant ainsi les équilibres institutionnels. Cette action de renforcement de capacité devrait aussi être orientée vers la société civile, la vraie.
L’organisation a aussi le devoir de renforcer ses politiques économiques et d’intégration afin de juguler au plus vite une situation de pauvreté qui exacerbe les rancœurs et fragilise la paix. Cela passe par l’acceptation du leadership naturel du Nigéria, la finalisation urgente du processus d’intégration et d’instauration de la monnaie unique.
Aussi, tôt ou tard, la CEDEAO devrait évaluer la question du degré de coopération des pays francophones par rapport aux objectifs de la communauté. Ces derniers semblent parfois nager à contre-courant des intérêts supérieurs de l’intégration sous régionale.
Il y’a lieu de rappeler que le processus de mise en place de la monnaie unique a été mis en difficulté suite à la décision inattendue des pays de l’UEMOA d’annoncer le changement du nom du Fcfa en Éco.
Tout récemment aussi, trois Chefs d’Etats francophones du Togo, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal ont exprimé des réserves sur les propositions de la CEDEAO visant à limiter les troisièmes mandats. Le processus démocratique dans la quasi-totalité des pays anglophones et lusophones est plus en avance avec des alternances normales.
Les pays francophones devraient engager en interne les réformes constitutionnelles nécessaires afin de mieux contrôler les pouvoirs exorbitants dévolus à la fonction présidentielle, véritable clef de voûte des institutions.
Dans l’intérêt supérieur de la CEDEAO, une réflexion approfondie pourrait être engagée afin de voir comment couper cette « ficelle mystérieuse » entre l’ancienne puissance coloniale et ces pays, laquelle explique, on l’a vu sur l’exemple malien que derrière tout problème on ressent « la main » de la France.
Au plan international, la question des troisièmes mandats étant un des facteurs majeurs de tension et de conflit dans le monde, des solutions devraient être envisagées au niveau de l’organisation onusienne et des partenaires au développement en vue de définir des règles intangibles en la matière. Il y va de la paix et de la sécurité dans le monde.
Magaye GAYE
Economiste International
Tél portable / 00 221 77 245 07 58
Titulaire d’un DESS en gestion de projets de l’Université de Rennes 1 en France, Magaye Gaye a exercé pendant une quinzaine d’années dans les organisations sous régionales africaines de financement du développement (BOAD et FAGACE) à des niveaux stratégiques élevés. Le cadre sénégalais, auteur de l’essai, intitulé « Afrique, abandonner les solutions occidentales et repenser le développement autrement» est auteur dans de nombreux médias internationaux comme le MONDE, le POINT, LA CROIX, OUEST FRANCE, l ECHO DE BELGIQUE, LE QUOTIDIEN DU LUXEMBOURG, GEAB, le labortoire européen d’anticipation. Il enseigne à l’Institut Supérieur de Gestion de Paris (ISG)
Magaye GAYE
Economiste International
Skype: gmcconseils