Par Germain Séhoué
Les 49 soldats ivoiriens arrêtés à Bamako le 10 juillet 2022, annoncés comme étant des « mercenaires » et promis à la justice, sont devenus finalement des otages du pouvoir malien. C’est l’information qui a transpiré de la médiation togolaise.
Comment s’explique ce dossier sombre ? Le moins qu’on puisse dire, c’est que dans cette affaire, le Gouvernement de la Transition malien prend la Côte d’Ivoire comme « ça fait rien », comme si le fond de notre caleçon n’avait plus de secret pour les enfants. Comme un grand démythifié, à cause d’un « péché » pris en flagrant délit. La Côte d’Ivoire est devenue un objet de jonglerie du colonel Assimi Goïta.
Le pouvoir malien avait arrêté les 49 militaires ivoiriens à l’aéroport International Président Modibo KEITA Sénou le 10 juillet 2022. « Au regard de ces manquements et infractions commis dans le cadre du déploiement de ces quarante-neuf (49) militaires ivoiriens, le Gouvernement de la Transition les considère comme des mercenaires, tels que définis par la Convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique », a soutenu le Gouvernement malien. Qui entend « Mettre à la disposition des autorités judiciaires compétentes les quarante-neuf (49) militaires ivoiriens interpellés ».
Mais face à ces informations, le 12 juillet 2022, le Gouvernement ivoirien répondra ceci : « Ces militaires sont régulièrement inscrits dans l’effectif de l’Armée ivoirienne et se trouvaient au Mali, dans le cadre des opérations des Éléments Nationaux de Soutien (NSE) ».
En clair, pour Abidjan, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Les soldats ivoiriens sont allés au Mali selon les normes. Il n’y aurait donc rien à reprocher à la procédure.
Entre les deux parties et avec la guerre de communication, l’opinion est ballotée. Qui va nous sauver par une lumière nouvelle ? C’est là que L’ONU sort une note pas vraiment reluisante pour le pouvoir ivoirien :
« La Minusma n’a pas été informée de la présence du nombre de NSE de la Côte d’Ivoire » Et de préciser : « selon la déclaration de contingents, au mois de juin 2022, le nombre total de NSE s’élève à 609 y compris 471 soutenant le contingent allemand, 33 Bangladais, 7 cambodgiens, 5 Tchadiens, 60 britanniques, 4Sri lankais et 29 Suédois ». Il n’y a donc pas d’Ivoirien dans le lot.
Dès cet instant, le pouvoir d’Alassane Ouattara est liquéfié, fragilisé face à un colonel Assimi Goïta, qui lui gardait déjà une dent dure ! Car si l’ONU qui a installé Alassane Ouattara au pouvoir à coups de bombes à Abidjan, le 11 avril 2011, vient à affirmer ces choses, à le désavouer, qui va en douter à part ses inconditionnels et les éventuels courtisans ? Qui ?
C’est là que vont basculer les choses. Fort de sa « raison », apportée maintenant par le meilleur soutien du pouvoir ivoirien, à savoir l’ONU, on attend vraiment le Gouvernement malien tenir sa promesse : « Mettre à la disposition des autorités judiciaires compétentes les quarante-neuf (49) militaires ivoiriens interpellés ».
Mais que non ! Il renonce à la procédure judiciaire. Parce que, que gagnerait-il à le faire, dans la mesure où ces 49 soldats sont déjà, de toute façon, en prison ? Rien ! Rien à part le respect de l’Etat de droit pour une transition militaire, un régime exceptionnel.
Et surprise générale ! Le Mali sollicite la médiation du Togo, entre la Côte d’Ivoire et lui, pour une sortie de crise. Et dans une affaire où il est persuadé d’avoir raison ! Que sa passe-t-il ?
Si le Mali a enfin envie de libérer les 49 soldats ivoiriens, pourquoi ne le fait-il pas simplement ? Pourquoi cherche-t-il un Médiateur d’abord avant de faire parler son cœur ?
Au regard de ce signalement, des gens jubilent : « Assimi Goïta se dégonfle », « pour qui se prend-il à la fin ! », « il a arrêté des gens injustement », etc.
Et la question demeure : N’est-ce pas la Côte d’Ivoire qui devait initier cette démarche de médiation ? Si, seulement que Abidjan traîne les pieds, alors que Bamako a découvert que ce dossier est une mine d’or, une belle opportunité à rentabiliser au maximum pour régler ses comptes. Ses comptes !
Alors, on réalise que Assimi Goïta n’est pas aussi « dégonflé » que l’on se l’imaginait joyeusement du côté ivoirien. Au contraire, il bande toujours dur contre la Côte d’Ivoire.
Nous voici au stade de l’otage. Que veut finalement le Mali ? Beaucoup de choses :
1) Que le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire reconnaisse sa responsabilité et exprime des regrets suite au déploiement de militaires au Mali sans cadre légal, sans notification et concertation préalable avec les autorités Maliennes.
2) Que le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire s’engage à œuvrer pour ramener la paix et la concorde entre le Mali et la Côte d’Ivoire.
3)Que le Gouvernement de la République de Côte d’Ivoire s’engage au respect de la souveraineté du Mali et des règles et procédures établies pour l’envoi de forces militaires en territoire Malien. »
Il s’agit là, d’humilier au maximum la Côte d’Ivoire, de « corriger » le pouvoir de ne l’avoir pas soutenu à la CEDEAO.
Bamako exige également l’extradition de Maliens réfugiés en Côte d’Ivoire. Dont Karim Kéita, le fils de l’ancien président malien renversé, feu IBK et l’ancien Premier ministre Boubou Cissé, inspiré de coup d’Etat.
Ce Boubou Cissé qui s’était permis de se déclarer, à Abidjan, au vu et au su des autorités ivoiriennes, président de la Transition malienne.
Assimi Goïta se porte à des extrémités dans ce dossier parce que la Côte d’Ivoire s’est trop impliquée contre la junte malienne. Plus d’une fois, l’on a clairement entendu la voix du président Alassane Ouattara (même s’il ne se reconnait pas dans ces audios) dénigrant ce régime dans une causerie avec un opposant malien, ou proposant à la CEDEAO des mesures inamicales contre le Mali.
Le 11 février 2022, RFI publiait ceci : « On croit y entendre Alassane Ouattara et Boubou Cissé tenir des propos peu élogieux sur les dirigeants de la transition malienne. L’enregistrement d’une discussion téléphonique entre le président ivoirien et l’ancien Premier ministre malien circule sur les réseaux sociaux, elle fait l’objet depuis vendredi d’une enquête préliminaire de la justice malienne, pour « atteinte ou tentative d’atteinte et complicités à la sûreté intérieure et extérieure du Mali ».
Et c’est devant toute l’opinion, à Abidjan, que l’opposant malien Boubou Cissé a annoncé, plusieurs jours avant, et déclaré lors d’une conférence de presse (publique) qu’il était désormais le président de la Transition malienne. Ce qui faisait, dès lors, de la Côte d’Ivoire, une base-arrière de la rébellion civile malienne.
Le régime ivoirien peut-il accepter si un opposant allait déclarer à Bamako qu’il était désormais le nouveau président de la Côte d’Ivoire ? Non ! Non ! Non ! On sait la suite donnée au CNT contre le 3e mandat en 2020 et comment Guillaume Soro a dû quitter la France. On sait.
Face à la folie de Boubou Cissé, il a fallu que l’opposition crie au scandale pour que le Gouvernement ivoirien condamne mollement cet acte grave de cet opposant malien, assoiffé de pouvoir et refugié en Côte d’Ivoire. Et sans plus. On s’est arrangé pour ne pas le retrouver.
Or, chacun de ces actes, nié ou pas, mettait déjà en danger les Ivoiriens au Mali. C’est à ce moment-là, que nous autres, craignions déjà des représailles. Voilà donc des Ivoiriens pris en otage.
Le PPA-CI n’avait pas tort d’exiger une enquête parlementaire pour mieux comprendre le dossier des 49 soldats ivoiriens arrêtés à Bamako le 10 juillet 2022 et devenus maintenant des otages maliens.
Aujourd’hui, on assiste à ce type d’irrespect qu’on voue à un plus fort que soit, mais qui a fait des ouvertures malheureuses. Un plus fort que soit, qui est pris à défaut, au point où des enfants se permettent de le tutoyer. Au point où il ne peut pas réagir vigoureusement parce que, affaibli par son acte, par ses actes.
Car quelle que soit sa baraka, quelle que soit la puissance à laquelle il s’est adossé, le colonel Assimi Goïta ne peut pas se tenir aussi raide qu’il est aujourd’hui face au pouvoir ivoirien, si dans ce dossier, la Côte d’Ivoire ne se reprochait vraiment rien.
Pourquoi Assimi Goïta nous tient-il de la sorte à la gorge ? Vivement une enquête indépendante !
Germain Séhoué