L’œuvre artistique reste tributaire de bon nombre de faits et phénomènes sociaux qui président sa naissance. Le roman de Léontine Syra SEHOUE n’échappe pas à ce déterminisme social. En effet, avec une vision pertinente, l’auteure plonge sa plume dans l’encre boueuse des élections africaines tronquées, truquées, aux résultats souvent enrobés dans un manteau nauséeux de mensonges et de forfaitures. Certains ont qualifié cette praxis de « Technologies électorales ».
Et les bêtes votèrent ; les morts aussi, un titre provocateur, à la limite choquant et parodique, voie idéale et idéelle choisie par l’auteure, pour révéler les faces sordides du pouvoir politique qui vit d’artifices et du sang humain. Mysticismes, sorcelleries, crimes odieux, prostitutions de tout genre, couplés au maraboutage hideux et trompeur, constituent les ingrédients privilégiés des pouvoirs mis en scène dans ce récit poignant.
Avec une plume alerte, Léontine Syra SEHOUE décrypte minutieusement les différentes strates qui constituent l’essence du pouvoir tyrannique des pseudos héros d’un jour. Les visions idéologiques des personnages historiques s’entrechoquent, pour donner naissance à une harmonique dénonciative du pouvoir patrimonial. L’auteure utilise ici une technique scripturale de la fable que nous nommons, Méthode à saute-mouton. Elle consiste à produire une fragmentation condensée du récit romanesque, avec un temps mort entre chaque séquence, tout fonctionnant ainsi dans la discontinuité-continuité. Ce qui crée des tabloïdes qui se répondent. Cet art, très prisé chez les anciens conteurs ou maîtres de la parole, est visité avec ingéniosité par Léontine Syra SEHOUE. L’image de la femme sacrificielle auprès du pouvoir y apparaît sous forme de succédanées enrichissantes et théâtralisantes, dévoilant l’ignominie du pouvoir dans la République Démocratique du Tchobal (R. D. T.) République imaginaire certes, mais non moins réelle.
Le héros Tcho-Hotchin Fokazi, Empereur 1er de la dynastie des Tcho-Hotchin et l’Impératrice Adeubal Bik, Première Dame, sont l’incarnation du pouvoir fondé sur le factice maraboutique, le lucre ou la mystique de façade. La machine politique s’exprime ici sur une scène de théâtre d’ombre, appelé élection annuelle, où le héros est élu avec un score soviétique 99,9% et souventes fois 103% ou 105% selon son désir. Des élections qui sortent de l’ordinaire, ni urnes, ni cartes d’électeurs, ni bureau de vote. Telle est la triste réalité dépeinte de la République Démocratique du Tcho Bal. Cet univers onirique s’étend, s’enroule et se referme sur lui-même, pour la meilleure conservation du pouvoir de commandement, pouvoir enivrant et destructeur.
Ce roman, véritable fresque des temps modernes caractérisés par la mystique du pouvoir, par des dramatisations inouïes avec ses accessoires factices, dévoile un monde d’essence dramatique. Cette théâtralité surréaliste est bien cernée par Léontine Syra SEHOUE, pour produire un réalisme exacerbé, qui copule avec le symbolisme, exerçant son emprise sur l’esprit du lecteur. Avec une crudité langagière acérée qui surprend le premier venu, Léontine Syra SEHOUE met à nu la République, ses pratiques obscènes, ses diverses sociétés secrètes, ses nombreux marabouts, ses nombreux ministres payés à tourner les pouces, ses associations satellites : association des femmes-mères, des femmes stériles, de mères des prématurés, masques grimaçants d’une république qui s’embourbe dans la théâtralisation du pouvoir politique. Tout ici est faux et tout est fondé sur le factice. Une éloquente manière de l’auteure de tourner le couteau dans les profondes plaies de l’Afrique par la dérision.
Ce n’est donc point étonnant que les morts votent dans cette république démocratique du Tchobal. Dans ce récit zassa, fragmenté à souhait, tout s’entrechoque, se libère et s’évanouit dans un brouillard qui s’épaissit tout au long du roman, en repoussant l’horizon d’attente du lecteur conscient. Celui-ci doit défaire les écheveaux de voies/voix, des rencontres mystérieuses aux contours magiques, pour mieux élucider le visage du héros Tcho-Hotchin Fokazi, prototype des dirigeants politiques du XXIe siècle : « pauvre roitelet au cerveau étriqué et à la culture générale à peine ébauchée… ».
Dans un style fluide et cru, l’auteure cloue au pilori les pouvoirs patrimoniaux et leurs pratiques mystico-religieuses, masques grimaçants d’un pouvoir faible qui vit d’ostentation et de mensonges. Il faut lire entre les lignes, les tabloïdes de cette fresque zassa, pour en découvrir les incréments symboliques. L’image des chefs d’Etat ombrageux, soupçonneux et vindicatifs n’échappe point à la critique de Léontine Syra SEHOUE. Les nombreux rebondissements des intrigues de palais donnent une couleur locale à cette œuvre joyeuse et plaisante.