COUP D’ÉTAT PERMANENT. C’est l’effervescence dans les états-majors des partis politiques. Ils sont à pied d’oeuvre pour chauffer à blanc leurs militants et les mettre en ordre de bataille, dans la perspective de la présidentielle du 25 octobre 2025.
Et les journaux, friands de l’information politique, sont dans leur élément: la propagande. Mais tout ce branle-bas est de la poudre aux yeux. Le pays est à l’arrêt ou en mode respiration artificielle.
Entre la réponse attendue d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat et la réintégration réclamée de Laurent Gbagbo sur la liste électorale, le suspense est total et chacun retient son souffle.
En effet, depuis le 14 août dernier, Laurent Gbagbo s’est envolé pour la Belgique, via la France; il y est encore. Parti le 15 août, le chef de l’État, baptisé Magellan, est rentré le 1er septembre, après avoir été reçu dans son antichambre de l’Élysée. Quant à Tidjane Thiam, membre du Comité international olympique (CIO), il a regagné le pays ce lundi 2 septembre, après avoir assisté aux JO de Paris, ouverts le 28 juillet.
Les trois potentiels vainqueurs du scrutin de 2025 ont choisi, au même moment, de prendre du bon temps en Europe. Il y a anguille sous roche et d’éventuelles tractations pour arrondir les angles des rivalités ou trouver un aggiornamento politique au goût de compromis ou compromissions. Parallèlement, leurs représentants ont été à l’abordage sur d’autres scènes politiques.
Ainsi, le 19 août, Mme Kandia Camara-Kamissoko, présidente du Senat et 2è vice-présidente du directoire du RHDP, le président du PDCI-RDA et l’avocate Habiba Touré, cheffe de cabinet et porte-parole du président du PPA-CI, se retrouvaient à la Convention du Parti démocrate, à Chicago, aux États-unis d’Amérique.
Cette sortie chez l’oncle Sam ne fut également pas fortuite et ne doit rien au hasard. Elle participe aussi d’une parfaite synchronisation. Embarqués dans la lutte géostratégique entre les grandes puissances mondiales, nos principaux leaders, sans appartenance d’idéologie, veulent tous montrer patte blanche, pour éviter d’être blacklistés.
De ce fait, d’un, pour la présidentielle de novembre 2024, aux USA, ils ont tous choisi, contre Donald Trump, le candidat du Parti républicain, le camp de Kamala Harris, qui entend continuer de fournir armes et fonds à l’Ukraine. Ils se positionnent donc contre la Russie et Vladimir Poutine.
De deux, et conséquence du premier, de droite, du centre ou de gauche, ils se rangent tous dans le camp occidental. Qui, en Côte d’Ivoire, pousse ses pions pour 2025.
L’Occident tire les ficelles. Comme le coach, qui établit le classement, il se met dans le casting pour serrer les vis et rester le seul maître du jeu. Afin de ne plus être débordé.
À l’époque du maccarthysme américain (1950-1956), Félix Houphouët-Boigny a bien rompu les liens, en 1951, avec ses alliés du Parti communiste français pour être dans les bonnes grâces de la métropole. Il a obtenu, à la solde de la colonisation, le parti unique avec le ralliement de toutes les formations ivoiriennes.
Mais le développement spectaculaire du pays, après son indépendance factice, a fait grincer des dents chez les néocolons. Loin du diktat de l’ex-puissance coloniale, la Côte d’Ivoire conduisait, souverainement ou presque, son programme éducatif et son système de santé sur fonds propres. Houphouët-Boigny pouvait refuser d’appliquer les injonctions portant, par exemple, sur le multipartisme.
Mal lui en a pris. Ce sera le début du coup d’État permanent dans lequel le pays reste empêtré. Dans les années 1980, la Côte d’Ivoire sera frappée par une très mauvaise conjoncture économique, avec la chute brutale et planifiée des cours du binôme café-cacao. Les caisses de l’État seront à sec et le pays sera au bord de l’asphyxie financière.
Dos au mur et pour prévenir la chute de son régime, Houphouët-Boigny avalera les couleuvres et acceptera, en 1990, ses totems (multipartisme et poste de premier ministre). Pis, avec des mesures impopulaires, le pays sera placé sous programme d’ajustement structurel (PAS), dirigé par Alassane Dramane Ouattara, le chef du gouvernement à lui imposé: privatisation à l’aveuglette avec des liquidations, affaiblissement de la fonction publique avec des licenciements en masse et des salaires à double vitesse, etc. Le PAS sera un échec cuisant qui entraînera l’ajustement monétaire, avec la dévaluation du FCFA en janvier 1994.
Le pays n’est toujours pas sorti de ce cercle vicieux. Le 22 décembre 1999, alors qu’il croisait le fer avec Michel Camdessus, DG du FMI, et la communauté dite internationale sur le cas Ouattara, le président Henri Konan Bédié se croyait au bout du tunnel. « Nous avons fait un choix difficile et courageux, celui du règlement définitif de notre dette extérieure au terme de l’actuel et dernier plan d’ajustement structurel. Nous en aurons fini avec 20 ans de tracasseries et d’ingérence dans l’élaboration de notre budget, » s’illusionnait-il dans son message à la nation.
Le 24 décembre, soit 48 heures plus tard, il était renversé sous les hourras. Et sous mandat d’arrêt international, Ouattara, qui déclarait: « Je frapperai ce pouvoir moribond au bon moment et il tombera, » revenait de son exil en France.
Élu, en octobre 2000, à l’improviste, sans mentor et sans parrain, Laurent Gbagbo a voulu refaire le monde avec son programme « La refondation ». « Je n’accepterai jamais que la Côte d’Ivoire, mon pays, soit un pays vassal. Je ne serai jamais le sous-préfet de la France, » affirmait-il au milieu des requins. Ses velléités d’émancipation se manifesteront à travers le budget dit sécurisé, le boycott de la fête du 14 juillet à Paris, etc.
Et comme il fallait s’y attendre, Gbagbo sera pris dans l’engrenage de la rébellion armée et des troubles politiques orchestrés, de la création, sur mesure, de l’unique certification, par l’ONU, de la présidentielle de 2010 et des forces internationales officiellement d’interposition, qui deviendront belligérantes dans la crise ivoirienne au service du camp choisi par l’Occident, celui de Ouattara.
Dans la crise post-électorale, Gbagbo sera alors bombardé dans la résidence officielle des chefs d’État, renversé et jeté à la CPI pour dix ans (2011-2021), afin de « laisser Ouattara gouverner ». Blanchi, il n’est pas sorti de l’auberge. Il est rayé de la liste électorale et le silence assourdissant de la communauté dite internationale démontre que ce complot est sciemment ourdi.
En effet, l’influence occidentale se réduit comme peau de chagrin en Afrique de l’ouest. Et avec la menace de l’avancée de la Russie dans l’Alliance des États du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger qui ont chassé les armées américaines et françaises de leur territoire), la Côte d’Ivoire est devenue un refuge et une base arrière des puissances occidentales.
En réalité, sous la gouvernance d’Alassane Ouattara, le joug occidental n’est pas un vain mot: les forces militaires sont très présentes dans des bases et l’endettement du pays flambe pour atteindre les 30 mille milliards de FCFA. Or, comme le soutenait John Adams, le 2è président des USA (1797-1801), « il y a deux manières de conquérir et asservir une nation, l’une est par les armes, l’autre par la dette. »
Par conséquent, l’Occident détient la clé du pouvoir en Côte d’Ivoire. C’est lui qui fait et défait les pouvoirs dans notre pays, au point que tous les leaders y cherchent des soutiens. C’est lui qui a et continue de capter la volonté des populations. Et c’est lui qui s’implique désormais ouvertement pour mettre, par la force ou des manigances, au pouvoir des dirigeants qui conduisent des politiques avantageuses pour lui et indifférentes aux préoccupations du pays et de ses habitants. Alea jacta est.
F. M. Bally
Texte tiré de sa page Facebook