Les débats au Colloque de l’Association des Géographes de Côte d’Ivoire (AGCI) ont remis en lumière hier, lundi 18 mars, dans l’après-midi, les enjeux majeurs entourant la décentralisation dans le pays. Alors que le pays s’efforce depuis des décennies de promouvoir ce processus au niveau local, selon le Pr Bertin Kadet, les défis demeurent nombreux, mettant en évidence un parcours complexe marqué par des avancées et des régressions.
Une vision ambitieuse, des réalités complexes
Selon les analyses du Pr Bertin Kadet, la décentralisation, conçue comme un levier de développement économique et social, incarne une aspiration légitime des populations locales à une plus grande autonomie. Cependant, malgré les efforts déployés, la mise en œuvre effective de ce processus se heurte à des obstacles profonds.
Défis structurels et gouvernance
L’un des principaux défis, comme l’observe le Pr Bertin Kadet, réside dans la nature même de la gouvernance locale. Si la volonté politique d’impliquer les régions et les municipalités dans le processus de développement est manifeste, les pratiques révèlent souvent un déséquilibre dans la répartition des ressources et des responsabilités. Cette asymétrie compromet l’équité territoriale et limite l’impact positif de la décentralisation.
Héritage colonial et évolution actuelle
Selon les travaux du Pr Bertin Kadet, l’histoire de la décentralisation en Côte d’Ivoire est indissociable de son passé colonial et postcolonial. Les réformes territoriales entreprises depuis l’indépendance ont oscillé entre des périodes d’ouverture et de recul, reflétant les tensions entre une volonté d’autonomie locale et le maintien de structures centralisées.
Défis du développement et déséquilibre…
Pour le Pr Bertin Kadet, la réussite de la décentralisation dépend de l’implication effective des populations dans les processus décisionnels. Mais il sait que les exemples historiques et contemporains montrent une sous-représentation des acteurs locaux dans la gestion des affaires publiques, compromettant ainsi la légitimité et l’efficacité des politiques décentralisées. Il souligne pour la Côte d’Ivoire, ceci : « En promouvant les Districts, l’exécutif renforce son emprise sur l’ensemble des collectivités décentralisées, ce qui maintient les populations locales sur les marges. Le problème est que tout cela se passe sans la moindre équité: Population communale: 56%; Population non communale: 44% (d’après les chiffres communiqués par le conseil des ministres du 06 juillet 2022, annexe au décret n°2023-608 du 15 juin 2023). Les Districts des Savanes (1 061 835 hts), Woroba (430 869 hts) et Vallée du Bandama (1 332 091 hts) tous situés dans le nord du pays, ont le plus grand nombre de communes avec respectivement 24, 21 et 19 communes. En cumulant les populations communales des Districts des Savanes, Woroba, Vallée du Bandama, Comoé, Montagnes et Denguélé dont le total fait 6 072 932 hts, la population communale du District d’Abidjan est nettement au-dessus avec 6 240 663 hts. Il y a un émiettement territorial au profit du nord ivoirien et il y a un manque d’équité dans la distribution des communes à travers les Districts autonomes. Le District d’Abidjan est sous-communalisé et, en général c’est toute la partie sud du pays qui souffre d’une sous-communalisation. »
Pour le Pr Bertin Kadet, ce qui pose également problème au développement local dans l’ensemble du pays, c’est la persistance d’une économie de spécialisation.
« La Côte d’Ivoire a été intégrée depuis plusieurs décennies dans un système de domination économique qui en fait un pays de spécialisation productive. L’économie de la CI continue de reposer sur les produits du secteur primaire et agricole exportés bruts: le pays continue de garder cette prééminence à l’échelle mondiale et continentale : 1ᵉʳ producteur mondial de cacao et de noix de cajou, 5è producteur mondial d’huile de palme (2è producteur africain), 5è producteur mondial de caoutchouc naturel (1ᵉʳ producteur africain), 3è producteur africain de coton, 1ᵉʳ producteur africain de bananes et grand exportateur (PND 2021-2025 : 29). »
Perspectives d’avenir et nécessité de réformes
Face aux défis persistants, le Pr Bertin Kadet souligne l’impératif d’une réflexion approfondie et de réformes structurelles. Il est essentiel de promouvoir une gouvernance plus inclusive, de renforcer les capacités locales et de garantir une répartition équitable des ressources pour assurer un développement territorial durable.
En conclusion, selon les analyses du Pr Bertin Kadet, la décentralisation en Côte d’Ivoire demeure un processus en évolution, marqué par des avancées significatives mais aussi par des défis complexes, souvent incompréhensibles. Pour réaliser pleinement son potentiel, il est essentiel d’adopter une approche collaborative, impliquant l’ensemble des acteurs politiques, sociaux et économiques dans la construction d’un avenir plus juste et prospère pour tous.
Cette communication a été suivie de plusieurs autres et des débats enrichissants de la part des experts venus de plusieurs pays (France, Burkina Faso, Benin, etc.)
Germain Séhoué