Par Germain Séhoué
A quoi va servir l’érudition, vraiment étoilée, du Pr Martin Bléou déversée le 29 juillet 2022 sur la place publique, relative à la question douloureuse du 3e mandat d’Alassane Ouattara ? A quoi ? Autrement dit, à quoi sert le droit en Côte d’Ivoire ?
Il était dans le « coma » du juteux Comité de normalisation de la FIF avec Dao Gabala. Mais le 29 juillet dernier, comme s’il voulait absolument ressortir de sa gorge quelque chose qui y est bloqué depuis 2020, aux heures chaudes du 3e mandat, le constitutionnaliste Martin Bléou se réveille. On se rappelle qu’en son temps, il avait été menacé de se taire. Mais on comprend que « pour lui ne reste pas à l’étranger »: la nervosité ayant baissé, ce jour-là, il revient sur le maintien au pouvoir d’Alassane Ouattara en ces termes :
Maintenant qu’il a parlé, on fait quoi ? C’est vrai, il doit avoir la sensation d’une gorge dégagée, la conscience satisfaite de s’être exprimé librement sur ce sujet. Mais maintenant, nous sommes en Juillet – août 2022. Alassane Ouattara demeure au pouvoir depuis bientôt trois ans du 3e mandat. Et aucun signe ne montre qu’il a l’air de vouloir se retirer. A quoi sert donc la sortie du Professeur ? Un témoignage que l’histoire doit consigner dans ses annales ?
Ce qu’il vient de dire n’est pas nouveau dans le débat. Il l’a seulement exprimé avec ses mots, ses termes, son verbe personnel et son tempérament. Sinon tout cela a été déjà expliqué, y compris par des propres collaborateurs du chef de l’Etat Alassane Ouattara même, y compris par lui-même Pr Martin Bléou, bien avant. Mais cela n’a rien donné. Et même si le Pr Francis Wodié se réveillait vaillamment de sa « tombe » constitutionnelle appelée « devoir de réserve » et parlait dans le même sens, cela ne changerait rien. Rien !
Pourquoi ? Parce que le ministre Cissé Bacongo, conseiller politique du prétendant au 3e mandat, nous aura prévenus que le chef de l’Etat Alassane Ouattara connait le droit, la Constitution ivoirienne, plus que tous les hommes de droit réunis. Y compris Bléou et Wodié.
De ce point de vue, à quoi sert l’érudition juridique qu’on déverse sur notre conscience ? A quoi ? A la bercer ? A quoi sert le droit ? Certainement à des condamnations à « 20 ans de prison » réels ou d’épée de Damoclès pour tétaniser l’opposition ?
Ou bien à jeter en prison des petits voleurs quand les voleurs de milliards sont tranquilles ? Ou encore à incarcérer des gens qui vendent publiquement la performance de leur libido, faute de travail pour vivre ? A quoi sert le droit appliqué au cœur du ROI ?
En juillet 2020, sans le clamer, le Pr Martin Bléou avait déjà mis en garde contre un 3e mandat, en traitant la question suivant « l’adoption de la nouvelle constitution remet-elle les compteurs à zero ? » Sa réponse était ceci :
« … La Constitution du 08 novembre 2016 a tout simplement reconduit, tels quels, les termes de la Constitution du 1er août 2000 consacrant le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Elle l’a fait par l’effet de son article 55, alinéa 1er, qui dispose : « le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. » La Constitution du 08 novembre 2016 reprend donc, en tous points, le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels tel qu’il existait dans la Constitution défunte du 1er août 2000. Cette circonstance donne de constater que le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels n’a pas cessé d’exister pour réapparaître par la suite. Ce principe existe donc de façon continue depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 1er août 2000. Il est en vigueur depuis 2000, sans rupture. Existant de façon continue depuis 2000, ce principe s’applique de façon continue depuis 2000. Ainsi, les deux mandats présidentiels, obtenus respectivement en 2010 et 2015, tombent sous le coup du principe de la limitation. Il suit de là que l’argument tiré du changement de Constitution ne saurait, en aucune manière, justifier une quelconque table rase du passé ni servir de base à l’affirmation selon laquelle les compteurs auraient été remis à zéro.
Le changement de Constitution n’a pu produire cet effet, à supposer que telle fût l’intention du président de la République lorsqu’il dotait, un an après avoir reçu son deuxième mandat, la Côte d’Ivoire d’une nouvelle Constitution dont il avait pris l’initiative et pour laquelle il avait désigné un Comité d’experts chargé d’écrire le texte, en ayant fourni les grandes lignes tant du point de vue institutionnel que normatif. C’est dire que le président de la République ne peut, aux termes de la Constitution, sa propre Constitution, briguer un troisième mandat présidentiel, le principe de la limitation le rendant inéligible. »
Malgré tout cela, la Côte d’Ivoire a connu ce qu’elle a connu en termes de violences et Alassane Ouattara se prépare pour un 4e mandat.
C’est pourquoi, c’est bien que le Pr Martin Bléou signale son retour sur la scène publique, mais après qu’il a parlé, on fait quoi ?