Instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 après la tenue du séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste à Windhoek en Namibie en 1991, la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse, célébrée chaque 3 Mai de l’année, a pour objectif de sensibiliser l’opinion publique sur l’importance de la liberté de la presse et de rappeler aux gouvernements leurs obligations de respecter le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Cet article dispose que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
Depuis cette date, dans le monde entier, le 3 mai est devenu l’occasion d’informer le public à propos des violations du droit à la liberté d’expression et c’est aussi le moment de se rappeler que plusieurs journalistes risquent la mort ou la prison en collectant, produisant et transmettant l’information aux populations.
29 ans après son instauration, la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse est devenue plus que jamais le cadre approprié pour faire chaque année, l’état des lieux des conditions d’exercice du métier de journaliste de professionnel de l’information et de la communication.
En Côte d’Ivoire, cette journée est l’occasion pour les Organisations Professionnels des Médias :
● de croiser la réflexion et mettre sur pied des initiatives qui visent la défense de la liberté de la presse ;
● de dresser le bilan de la liberté de la presse ;
● de rappeler au gouvernement le respect des engagements internationaux qui ont été pris en faveur de la liberté de la presse sur le territoire national ;
● de tirer la sonnette d’alarme afin d’alerter le public et accroître la sensibilisation à la cause de la liberté de la presse ;
● d’ouvrir le débat entre les professionnels des médias sur les problèmes qui touchent la liberté de la presse ;
● de rendre hommage aux journalistes et aux professionnels de la communication qui ont perdu la vie dans l’exercice de leur profession, etc.
Cette année, nous nous réunissons autour du thème « Le journalisme sous l’emprise du numérique », pour faire l’état des lieux de la situation de la liberté de la presse dans notre pays. Il s’agit pour les organisations du secteur des médias :
● de mettre en exergue l’impact de l’ère numérique sur la liberté d’expression, la sécurité des journalistes, l’accès à l’information et la vie privée ;
● d’explorer l’impact des mutations numériques sur la liberté d’expression et la sécurité des journalistes ;
● de réduire les menaces à la confiance du public qui résultent de la surveillance et des attaques des journalistes à travers des logiciels d’espionnage ;
● d’accroître la sensibilisation des acteurs de la presse et des leaders communautaires sur les Fake news.
Ce mardi 3 mai, nous entamons les festivités de notre célébration par la grande marche des professionnels des médias. Les festivités se poursuivront le 12 mai prochain à la Maison de la Presse d’Abidjan avec un panel en ligne (Webinaire) qui sera meublé par les sous-thèmes suivant :
- « Quelle viabilité de la presse et des médias à l’ère du numérique ?»
- « L’intelligence artificielle signe-t-elle la fin du journalisme ? »
- « Quelle confiance du public à la presse à l’ère du numérique : les cas de la Covid-19, des inondations et des effondrements d’immeubles »
L’année dernière nous étions ici à la RTI à la même période et dans le même contexte pour exposer des problèmes auxquels sont confrontés les acteurs de l’écosystème des médias dans leur combat pour la liberté de la presse. Des revendications et des doléances ont été présentées au gouvernement. Cette journée est donc l’occasion de faire le point des actions menées et des actes posés en vue d’améliorer les choses. C’est surtout, l’occasion de faire le bilan des doléances et des revendications de l’édition 2021 de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
● Au titre des interpellations et des violences exercées contre les journalistes, il y a encore du chemin à faire. Les agressions contre les journalistes de la part des forces de l’ordre, des mouvements de jeunes dans le milieu politique ou universitaire, notamment en marge des manifestations, continuent. Cela témoigne de la nécessité de continuer à sensibiliser les populations aux droits des professionnels de l’information.
● Au titre des lois, des décrets et autres décisions que les acteurs du secteur des médias ont exhortés le gouvernement à prendre en vue d’aider à la résolution de certaines difficultés, les Organisations Professionnelles des Médias, tout en saluant la bonne volonté de l’Etat de Côte d’Ivoire, restent sur leur faim.
En effet, la presse ivoirienne dans son ensemble salue l’adoption de deux importants projets de lois. Notamment, le projet de loi modifiant la loi n° 2017-867 du 27 décembre 2017 portant Régime Juridique de la Presse et le projet de loi modifiant la loi n° 2017-868 du 27 décembre 2017 portant Régime Juridique de la Communication Audiovisuelle.
Ces deux lois modificatives vont permettre d’assurer une régulation efficiente, des mécanismes nouveaux et croissants de communication publique dont le développement nécessite une adaptation constante du cadre légal existant. Il s’agit notamment des activités de communication audiovisuelle et des productions d’informations numériques, diffusées via internet et autres réseaux multimédia, qui insuffisamment pris en compte par la législation, échappent au contrôle des autorités de régulation du secteur de l’information et de la communication.
Ces différentes modifications permettront de soumettre, comme l’on toujours souhaité les professionnels des médias, tous ces contenus audiovisuels et productions d’informations numériques, diffusés par les acteurs d’internet dont les blogueurs, les activistes ou les influenceurs, au respect des principes généraux de l’information et de la communication.
Cependant, force est de reconnaître que ces nouveaux cadres ne prennent pas en compte des points essentiels qui ont fait l’objet de consensus au séminaire sur les Etats Généraux de la Presse de Grand-Bassam. A titre d’exemple, les nouvelles moutures de ces lois imposent des amendes extrêmement lourdes menaçant l’existence des entreprises de presse. Les dispositions de la nouvelle législation sont plus répressives, plus restrictives.
Par ailleurs, la suppression de la peine privative de liberté acquise de haute lutte est gravement remise en cause. En tout état de cause, il serait salutaire qu’une discussion se tienne entre le gouvernement et les organisations professionnelles sur ces articles à problème en vue de mettre en place un cadre législatif consensuel et plus adapté.
L’année dernière, en ces mêmes lieux, le plaidoyer des Organisations Professionnelles des Médias (OPM) pour la prise de mesures permettant d’assurer plus de viabilité économique des entreprises du secteur des médias, confrontées dans leur majorité à des difficultés financières, reste toujours d’actualité. Il faut absolument que des mesures vigoureuses soient prises pour sortir de l’impasse d’une précarité qui n’a que trop duré.
Notamment, la réinstauration de la subvention de l’impression suspendue depuis quatre ans, par le Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP), dans un cadre d’application et de suivi-évaluation bien défini entre les éditeurs, les représentants des travailleurs et les organes de régulation.
La quasi-totalité des entreprises de presse est au bord de la faillite ; les médias de service public ne s’en portent pas mieux. La plupart des quotidiens paraissent désormais deux ou trois fois par semaine ; des patrons de presse ont tout simplement rangé le journal papier pour ne paraître qu’en version numérique; les tirages ont drastiquement baissé; les éditeurs sont confrontés à la hausse des coûts des intrants dans la production des journaux; les salaires ne sont plus payés dans plusieurs entreprises de presse; la convention collective a été jeté aux oubliettes ou à peine à être appliquée dans les entreprises de presse; les travailleurs sont confrontés à des licenciements collectifs (les cas d’ agents des journaux Fraternité Matin, Le Jour Plus, Le Nouveau Réveil et Le Temps où il y a déjà eu mort d’homme pour défaut d’argent pour se soigner ) ; des entreprises doivent de nombreux mois d’arriérées de salaires à leurs employés, etc.
Les professionnels du secteur des médias restent aussi en attente de la prise du décret transformant le Fonds de Soutien et de Développement de la Presse (FSDP) en un fonds de soutien aux médias qui rendrait alors les radios de proximité et les entreprises de presse numérique éligibles.
En outre, les Organisations Professionnelles des Médias appellent toujours de leurs vœux, l’octroi d’une subvention d’au moins 0,01% du budget de l’Etat à tout le secteur. Ce soutien complémentaire permettra la viabilité des entreprises de presse et leur meilleur fonctionnement.
En ce qui concerne les médias audiovisuels, les travailleurs des radios privées non commerciales (radios communautaires, confessionnelles, de collectivités locales) continuent de vivre dans la précarité la plus absolue. Contraints à faire du bénévolat, ils travaillent souvent sans salaires et sont réduits tout simplement à la mendicité. Ces radios, à cause de leur statut limitant leurs sources de revenus publicitaires, ne peuvent pas offrir des emplois rémunérés décents à leurs employés (animateurs, techniciens, producteurs, journalistes, réalisateurs…).
C’est le lieu de rappeler que le Syndicat National des Professionnels de la Presse de Côte d’Ivoire (SYNAPPCI) avait porté au Président Alassane Ouattara, à l’occasion de la Cérémonie d’échange de vœux du nouvel an au Palais présidentiel, le 20 janvier 2016, une préoccupation majeure des travailleurs des radios des collectivités locales (Mairies, Conseils généraux, aujourd’hui, Conseils régionaux) dont un grand nombre ne perçoit pas encore le SMIG. Le Chef d’Etat s’était dit vivement préoccupé par la question et avait souhaité que cela soit régularisé au plus vite. Après quelques échanges de courriers entre les ministères de la Communication et de l’Intérieur, (notamment, le courrier N° 00665/MINCOM/CAB/DCB demandant une collaboration relative aux instructions du Chef de L’Etat sur la question au ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité), ce vœu du Président Ouattara est resté sans suite et les travailleurs de ces médias continuent de vivre dans des conditions extrêmement difficiles et sans aucune protection sociale ni de de couverture maladie.
En outre, le 13 mai 2016, le Préfet Doumbia Mori, Directeur de cabinet de la Ministre de la Communication d’alors, a adressé la lettre-circulaire N°018/MINICOM/CAB/DC aux promoteurs de ces radios, sans suite également.
Comme on peut le constater, la liberté de la presse en Côte d’Ivoire avance plus ou moins, nonobstant certaines difficultés. Beaucoup reste à faire pour la construction d’un environnement plus propice à l’exercice du métier d’informer en toute liberté, gage d’une consolidation de la démocratie et du respect des valeurs. C’est un travail de longue haleine qui se fera avec la contribution de tous (acteurs du secteur des médias, populations, pouvoirs publics, société civile, partis politiques, religieux, consommateurs d’œuvre de presse, autorités coutumières …).
C’est pourquoi, à l’occasion de cette célébration, nous voudrions solliciter l’engagement de tous aux côtés des journalistes et professionnels de la communication, pour une presse libre en Côte d’Ivoire !
Fait à Abidjan, le 3 mai 2022
Pour les Organisations professionnelles du secteur des médias